Selon Philippe de Villiers, “quand vous mettez dans la Constitution le principe de précaution, vous ne faites plus rien”
Dernière modification : 22 juin 2022
Autrice : Juliette Dudermel, master droit de l’Union européenne, Université de Lille
Relectrice : Tania Racho, docteure en droit, Université Paris 2 Panthéon-Assas
Source : BFMTV, le 10 avril 2021, 1:21’
Philippe de Villiers reprend tout ce qui circule et qui est faux sur le principe de précaution : ce principe n’est pas censé bloquer l’action publique, mais la sécuriser par des mesures destinées à faire face à certaines incertitudes scientifiques quant aux conséquences sur l’environnement ou la santé.
Philippe de Villiers, ancien haut fonctionnaire et homme politique français, était interrogé par Apolline de Malherbe sur BFMTV à propos de la gouvernance d’Emmanuel Macron. À cette occasion, il a estimé que l’ancien Président de la République, Jacques Chirac, avait commis une faute en insérant le principe de précaution dans la Constitution, car, d’après lui, “quand vous mettez dans la Constitution le principe de précaution, vous ne faites plus rien”. Le principe de précaution a été ajouté en 2005 à la Constitution avec la Charte de l’environnement et encadre en effet l’adoption de certaines lois, mais ce n’est pas un principe d’abstention.
Le principe de précaution a été ajouté dans la Constitution avec la Charte de l’environnement de 2004 (article 5). Ce principe a vocation à inciter les autorités publiques et le législateur à tenir compte des risques potentiels pesant sur l’environnement, en imposant des mesures destinées à parer aux risques éventuels, à l’occasion de toute politique ou action publique. Mais ce principe n’est pas fait pour bloquer : il oblige la loi ou le gouvernement à accompagner son action de mesures plus strictes (les précautions) en raison d’une incertitude scientifique quant aux risques. C’est pourquoi les juristes considèrent que le principe de précaution est un “principe d’action” (accompagnant l’action) et non un principe d’abstention. Il est donc très rare que le principe de précaution bloque totalement une action ou l’application d’un texte.
Il est en outre très rare que ce principe s’applique. Il faut tout d’abord qu’il n’y ait pas de certitude scientifique sur les effets d’une politique publique ou d’une loi pouvant affecter l’environnement. Ensuite, il faut que ces effets puissent l’affecter “de manière grave et irréversible » dans l’avenir. Autrement dit, ce principe n’est applicable qu’en cas d’incertitude scientifique sur les conséquences qui pourraient affecter de manière grave et irréversible l’environnement dans l’avenir. Ajoutons que le principe de précaution est cantonné à la préservation de l’environnement, même si le juge a également pris en compte les atteintes à l’environnement lorsque celles-ci sont susceptibles de nuire de manière grave à la santé.
Le juge bloque très rarement une action sur la base du principe de précaution
À partir du moment où l’évaluation des risques à été faite correctement en amont et qu’elle ne prouve pas qu’il peut y avoir de conséquences « graves et irréversibles » sur l’environnement ou la santé, les tribunaux n’y trouvent rien à redire. Dans le cas contraire, le juge peut sévir : récemment par exemple, le Conseil d’État a rendu une décision incitant le gouvernement à réaliser une étude plus poussée sur la mutagénèse en tant que méthode agricole. En l’absence de cette étude, la commercialisation de variétés de colza rendues tolérantes aux herbicides n’était pas possible.
Mais ces exemples font parler d’eux précisément parce qu’ils sont rares : comme le prouvent certaines études juridiques, le juge bloque très rarement une action ou un texte en raison du principe de précaution dès que les études requises sont réalisées et les mesures de précaution prévues. Ainsi, au sujet de la loi autorisant les organismes génétiquement modifiés, le Conseil constitutionnel a estimé qu’elle respectait le principe de précaution du fait d’une évaluation préalable indépendante et transparente des risques, et de l’application d’une surveillance continue (décision du 19 juin 2008). Dans une toute autre affaire devant le Conseil d’État, des associations de riverains et collectivités locales demandaient l’annulation d’un arrêté ministériel autorisant des travaux sur une ligne à très haute tension du fait de l’existence d’un risque de leucémie plausible ; mais le Conseil d’État a jugé que les vérifications des risques étaient suffisantes. Les travaux ont donc été déclarés compatibles avec le principe de précaution.
Un principe ancien mais mal interprété
La confusion n’est pas rare sur la question de l’application de ce principe, tant il est invoqué à tort et à travers. Le principe de précaution n’est pourtant pas nouveau. Il a d’abord été consacré par la communauté internationale dans la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement, puis par l’Union européenne dans les traités (article 191 TFUE). La Cour de justice de l’Union européenne l’a par exemple appliqué lors de la crise de la maladie de la vache folle, dans une décision de 1998 où elle l’a étendu à la protection de la santé des personnes.
Le principe de précaution répond à une demande accrue de la société civile à une protection effective de l’environnement, ce qui a incité le législateur à le consacrer en droit français par la loi dite Barnier de 1995 (Code de l’environnement, article L 110-1), à la suite de la crise de la vache folle et de celle du sang contaminé. Puis le principe de précaution a été élevé au rang constitutionnel pour une plus grande valeur symbolique. Ce principe n’a donc pas pour vocation d’arrêter le progrès, mais au contraire de l’accompagner avec les meilleures précautions possibles. Contacté, Philippe de Villiers n’a pas répondu à nos questions.
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