Judit Varga, ministre hongroise de la Justice, estime que l’État de droit ne peut servir de base à un mécanisme de sanction
Dernière modification : 21 juin 2022
Auteur : Gwenole Py-Patinec, étudiant en Master Droit de l’Union Européenne au Centre Européen Universitaire de Nancy, sous la direction de Vincent Couronne, chercheur associé en droit européen au laboratoire VIP (Paris-Saclay)
Source : Le Point, le 2 décembre 2020
Il n’en est rien : l’État de droit est déjà défini par des textes, et sa violation peut déjà faire l’objet d’une sanction. C’est précisément parce que la Hongrie et la Pologne bloquent ces sanctions que l’Union européenne souhaite créer un nouveau mécanisme, plus contraignant.
Judit Varga, ministre de la Justice de Hongrie, considère que l’État de droit est un concept flou et mal défini. C’est pourquoi son non-respect ne pourrait pas faire l’objet de sanctions. Or, le concept est en réalité bien défini, et il existe déjà un mécanisme de sanctions pour son non-respect.
Le juriste autrichien Hans Kelsen avait défini l’État de droit au début du XXème siècle comme la prééminence du droit sur l’exercice de la puissance de l’État. En d’autres termes, l’État est soumis au respect du droit, un droit qui limite son pouvoir pour éviter tout arbitraire et préserver les droits des individus. Depuis, la définition a été précisée, notamment par le Conseil de l’Europe, une organisation internationale de protection des droits de l’homme, dont la Hongrie est membre. En 2011, la Commission de Venise, qui dépend de ce Conseil de l’Europe, a adopté un rapport qui donne une définition de ce qu’est l’État de droit. Une définition qu’elle considère comme faisant l’objet d’un “consensus sur le sens profond” de la notion : ”Toute personne et toute entité publique ou privée peut se prévaloir de la législation adoptée par la puissance publique, qui prend en principe effet pour l’avenir et que l’État fait appliquer dans les tribunaux”. Ce rapport comporte également une annexe qui liste de manière très précise les critères de respect de l’État de droit, par exemple l’indépendance et l’accès à la justice, l’égalité devant la loi, et surtout l’interdiction de l’arbitraire (c’est-à-dire prendre des décisions sans aucun fondement juridique, comme aux temps où le Roi concluait ses lois par : “car tel est notre plaisir”) .
La Hongrie est aussi membre de l’Union européenne. Elle doit donc respecter les traités qu’elle a signés. Le traité sur l’Union européenne (article 2) précise que “L’Union est fondée sur les valeurs […] de l’État de droit”. L’Union européenne a d’ailleurs récemment défini la notion d’État de droit, et sa définition est très proche de celle de la Commission de Venise, axée sur le respect de la légalité, l’indépendance de la justice, l’égalité devant la loi, ou encore l’interdiction de l’arbitraire. Il existe donc bien une définition précise de l’État de droit.
La ministre hongroise prétend qu’on ne peut pas mettre en place un système de sanctions en cas de non-respect de l’État de droit. En réalité, un tel mécanisme existe déjà, même s’il ne fonctionne pas très bien dans les faits : le traité sur l’Union européenne prévoit (article 7) qu’en cas de “violation grave et persistante par un Etat membre des valeurs” de l’Union, dont fait partie l’État de droit, l’Union peut d’abord constater cette violation, puis éventuellement infliger des sanctions, comme le retrait du droit de vote de l’État concerné. Cette procédure a été enclenchée contre la Hongrie le 12 septembre 2018 mais sans grand succès jusque là, puisque pour constater de la violation de l’État de droit, il faut l’unanimité des États membres moins l’État concerné. Or, la Pologne, elle aussi visée par cette procédure, bloque les sanctions visant la Hongrie, et réciproquement.
Face à cette impasse, la Commission européenne et les autres États membres ont décidé de lier le versement des fonds du plan de relance au respect de l’État de droit. C’est cette condition que dénonce Judit Varga, car elle permettrait de prendre des sanctions efficaces bien plus facilement qu’avec la procédure existante.
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