Série (2) – Procès des attentats de janvier 2015 : pourquoi une Cour d’assises spéciale ?
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Alex Yousfi, étudiant en master droit privé approfondi à l’Université de Lille, sous la direction d’Emmanuel Daoud, Avocat au Cabinet Vigo
Les Surligneurs vous offrent une série d’éclairages sur le procès “hors normes” des attentats de janviers 2015, qui se tient jusqu’à début novembre. Les articles sont de Myriam Hammad et Alex Yousfi, sous la direction d’Audrey Darsonville et Emmanuel Daoud.
L’année 2020 sera mémorable à plus d’un titre : pour s’être ouverte avec la Covid-19 et pour se clore avec un procès d’une importance historique, celui des attaques terroristes perpétrées, en 2015, dans les locaux de Charlie Hebdo, la commune de Montrouge et l’Hyper Casher. Un procès hors norme qui compte près de deux cents parties civiles et pas moins de quatorze accusés renvoyés devant la cour d’assises spéciale pour avoir, à des degrés divers d’implication, soutenu les frères Kouachi et Amédy Coulibaly.
La gravité de ce procès, long de quarante-neuf jours, a déjà été soulignée par de nombreux journalistes, dont ceux de Charlie : « On entend tout et n’importe quoi dans un procès. Il y a des étincelles de vérité et des kilos de mensonges, des intensités de langage qui vous ouvrent à la pensée, des horreurs qui fécondent les ténèbres, de brusques lumières et des sursauts d’humanité. Des choses qu’on ne voudrait pas savoir et d’autres qui allument le désir de comprendre. Il y a le néant et le crime ; l’un et l’autre se dissimulent derrière le silence ou la douleur intarissable », écrivent Yannick Haenel et François Boucq dans l’hebdomadaire. Avec le premier numéro de cette série, le collectif Les Surligneurs, désire, lui aussi et à sa manière, allumer un certain désir de comprendre un procès qui, sans conteste, marquera l’histoire.
Pourquoi une cour d’assises spéciale pour les infractions terroristes ?
Les actes de terrorisme relèvent de deux catégories de procédures : la correctionnelle et la criminelle. En matière criminelle, les peines encourues vont jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité. Les affaires sont jugées par une cour d’assises spéciale, composée exclusivement de magistrats : cinq en premier ressort, sept en appel (article 706-25 du code de procédure pénale). Il faut d’ailleurs souligner que l’augmentation du nombre de dossiers terroristes en lien avec les filières syro-irakiennes avait conduit le législateur à réduire le nombre des magistrats par affaire, pour traiter les procès en attente dans un délai raisonnable.
À l’origine, la cour d’assises spéciale a été créée en remplacement d’une juridiction d’exception : la Cour de sûreté de l’Etat – composée de juges officiers de l’armée –, pour juger les crimes en matière militaire ou d’atteintes à la sûreté de l’État. Et c’est une loi du 9 septembre 1986 qui a étendu sa compétence pour lui permettre de juger les personnes poursuivies pour crime terroriste.
Pour le comprendre, un peu d’histoire. En 1986, lors du procès des membres de la branche lyonnaise du groupe Action directe, l’un des accusés, Régis Schleicher, avait menacé les jurés et certains chroniqueurs judiciaires présents dans la salle. Le lendemain, une majorité de jurés avaient produit un certificat médical pour justifier officiellement leur choix de ne plus siéger. En réaction, la décision, déjà prise par le gouvernement, de créer une cour d’assises sans jury a été accélérée. Les magistrats étaient réputés plus hermétiques que les citoyens aux pressions des accusés et de leur entourage…
Pourquoi cette cour d’assises spéciale siège-t-elle à Paris ?
La centralisation des affaires judiciaires au sein de la capitale est souvent présentée comme une garantie d’efficacité, en particulier pour les contentieux techniques requérant un haut niveau d’expertise. C’est une dérogation au principe d’organisation judiciaire selon lequel c’est la juridiction du lieu de l’infraction qui doit juger.
Dans les faits, donc, la justice pénale a adapté son organisation à la spécificité du terrorisme, qui est une forme pour le moins particulière de délinquance et de criminalité. Pour y parvenir, c’est la logique de la concentration parisienne qui a été choisie. La loi du 9 septembre 1986 avait aussi centralisé l’enquête et la procédure judiciaire contre les infractions terroristes au sein de la juridiction parisienne, en créant un pôle antiterroriste, composé de représentants du ministère public et de juges d’instruction spécialisés. Par la suite, une autre loi du 23 mars 2019 a poursuivi cette centralisation en créant, comme entité distincte du parquet de Paris, le Parquet national antiterroriste (PNAT) dans le but, notamment, de « disposer d’une véritable force de frappe judiciaire antiterroriste [par la création d’] un ministère public dédié à la lutte contre le terrorisme [ayant] toute la disponibilité pour se consacrer à ce contentieux extrêmement spécifique, dans un contexte de multiplication des projets terroristes sur le territoire national […] », selon les mots du ministère de la Justice.
Retrouvez les articles de notre série sur le procès des attentats de janvier 2015 :
Chronologie d’un procès hors normes
Pourquoi une Cour d’assises spéciale ?
Quels sont les chefs d’accusation ?
Pourquoi un procès filmé ?
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