Les tribunaux de commerce sont-ils illégaux ?
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’université de Poitiers
Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’université de Poitiers
Source : Publication Facebook, 27 septembre 2025
Non, les tribunaux de commerce ne sont pas illégaux. Malgré certaines publications sur les réseaux sociaux, leur existence reste pleinement fondée en droit. Les textes encadrant leur organisation ont été pris dans le respect des procédures constitutionnelles, et la jurisprudence confirme leur validité.
Bientôt la fin de notre droit ? Sur les réseaux sociaux, un groupe est en croisade contre les institutions. Leur but est clair : dévoiler l’illégalité de notre ordre juridique, comme le Conseil constitutionnel, les taxes foncières ou encore la Constitution elle-même. Ce groupe s’apparente à la mouvance des citoyens souverains, bien qu’il ne le revendique pas. Leur objectif est de remettre en cause les institutions par des raisonnements juridiques qui ne sont pas sans faille, mais qui pourraient convaincre les profanes du droit.
Leurs nouvelles cibles sont les tribunaux de commerce. Selon une publication du 27 septembre 2025, ces juridictions auraient été intégrées par un décret de 1978 dans la partie législative du Code de l’organisation judiciaire, en violation de l’article 34 de la Constitution. Cet article définit en effet ce qui relève de la loi (adoptée par le Parlement) et ce qui relève du règlement (pris par le gouvernement). Autrement dit, selon eux, un décret — acte du pouvoir exécutif — n’aurait pas pu modifier des règles relevant de la loi.
De plus, ce décret aurait abrogé la loi des 16 et 24 août 1790, créatrice et seul fondement juridique de ces tribunaux. Cela marque-t-il la fin des tribunaux de commerce. Non.
Un décret illégal ?
Le décret de 1978 n’est pourtant pas sorti de nulle part. Il a été pris en application d’une loi votée en 1972, qui prévoyait explicitement qu’« il sera procédé, sous le nom de Code de l’organisation judiciaire, à la codification des textes de nature législative et réglementaire concernant cette matière, par des décrets en Conseil d’État ».
En clair : le Parlement avait donné son feu vert au gouvernement pour prendre ce décret. Le fait qu’un décret touche à la « partie législative » d’un code n’est donc pas une illégalité, dès lors qu’il a été autorisé par une loi.
Ce décret, juridiquement valide, abroge et remplace le titre XII de la loi de 1790. Les tribunaux de commerce ont donc toujours un fondement légal : ils ne reposent plus sur la vieille loi révolutionnaire, mais sur des textes codifiés plus récents.
Une ordonnance non ratifiée ?
La dernière évolution a eu lieu en 2006. Une ordonnance déplace juridiquement les tribunaux de commerce à leur place définitive : l’article L.721-1 du code de commerce.
Mais la publication en question conteste aussi cette ordonnance. Son auteur affirme qu’elle serait illégale car contraire à l’article 34, et surtout parce qu’elle n’aurait pas été ratifiée par le Parlement.
Rappelons ce qu’est une ordonnance dans ce cas précis : selon l’article 38 de la Constitution, le Parlement peut autoriser le gouvernement, pour une durée limitée (souvent six mois à trois ans), à prendre des mesures normalement du domaine de la loi. Ces mesures sont prises par ordonnance, un texte provisoire qui doit ensuite être ratifié par le Parlement pour devenir une loi à part entière.
C’est sur ce point que le groupe pense tenir une faille : le projet de loi de ratification de 2006 n’a jamais été adopté. Mais là encore, la lecture juridique est erronée. La loi de 2004 de simplification du droit habilite bien le Gouvernement à « procéder par ordonnance aux modifications nécessaires des parties législatives […] du code de commerce ». Un projet de loi visant à ratifier cette ordonnance a ensuite été déposé devant le Parlement en 2006. Toutefois, ce projet de loi n’est pas allé jusqu’à son terme.
Mais, dans sa décision du 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a adopté une position novatrice. Les ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution peuvent produire leurs effets sans ratification, sous certaines conditions. Une fois que le délai fixé par la loi d’habilitation a expiré, les dispositions de l’ordonnance acquièrent une valeur législative, même en l’absence de ratification.
Même sans être ratifiée, l’ordonnance de 2006 est donc valide, et les tribunaux de commerce ont toujours une existence juridique.