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Photo by JOEL SAGET / AFP

La procédure qui a fondé la Cinquième République était-elle “illégale” ?

Création : 10 octobre 2025

Auteur : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Source : Compte Facebook, 2 octobre 2025

Une publication affirme que la Constitution de 1958 serait « illégale », car elle violerait la Constitution de 1946 et le pouvoir du peuple. Mais malgré un contournement procédural et une adoption par référendum, la révision a bien une légitimité juridique.

Selon une publication publiée sur Facebook, la Constitution de 1958 serait « illégale » pour deux raisons. La première, selon le post, la Constitution de 1946 n’aurait pas été respectée lors du passage à la Vᵉ République, ce qui constituerait « une rupture avec la continuité républicaine ».

La deuxième raison avancée est que seul le peuple détiendrait le pouvoir de modifier la Constitution, en vertu de l’article 3 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC). La publication affirme ainsi que « le pouvoir constituant appartient au peuple ».

Or, cette citation est inexacte : l’article 3 de la DDHC dispose en réalité que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
Autrement dit, selon l’auteur du post, le pouvoir du peuple aurait été confisqué lors de la mise en place de la Constitution de 1958.

Mais ces deux affirmations sont très imprécises et doivent être nuancées en droit.

Une procédure contournée, mais juridiquement valide

La Constitution de 1946, celle de la IVe République, aurait été « contournée » pour créer la Ve République. Pour mettre fin à la IVe République, il fallait effectivement suivre l’article 90 de la Constitution de 1946 qui prévoit sa propre révision.

Pour réviser la Constitution de 1946, l’Assemblée nationale devait d’abord adopter, à la majorité absolue, une résolution précisant l’objet de la révision. Après un délai d’au moins trois mois, cette résolution était soumise à une seconde lecture, sauf si le Conseil de la République (l’ancien nom du Sénat) l’avait déjà approuvée à la même majorité.

L’Assemblée élaborait ensuite une proposition de loi constitutionnelle, votée par le Parlement comme une loi ordinaire. Ce projet était soumis à référendum, sauf s’il avait été adopté par les deux tiers de l’Assemblée nationale ou par les trois cinquièmes de chaque chambre. Enfin, le président de la République promulguait la révision dans les huit jours.

Une longue procédure jugée trop complexe par Charles de Gaulle, alors chef du gouvernement. Il a alors fait adopter par le Parlement une loi constitutionnelle qui dérogeait à cette procédure.

Cette loi a toutefois été adoptée en respectant la première procédure de l’article 90. Elle était la suite d’un projet de révision presque adopté en mars 1958, mais dont le cours a été suspendu suite à la chute du gouvernement de Félix Gaillard et du premier putsch d’Alger.

La nouvelle façon de réviser la Constitution court-circuitait le Parlement, car un seul référendum sur un projet du gouvernement pouvait acter la révision.

C’est ainsi qu’à l’issue du référendum de septembre 1958, plus de 80 % du peuple adopte le passage à la Vᵉ République. Le post est donc faux, car il laisse entendre que la Ve République aurait été instaurée en violation de la Constitution de 1946, alors qu’en réalité, la procédure employée — bien qu’exceptionnelle — a respecté le cadre juridique prévu par cette Constitution, qui permettait justement de la modifier.

Le peuple usurpé ?

La publication soutient par ailleurs que le pouvoir du peuple aurait été « usurpé », en s’appuyant sur une citation erronée de l’article 3 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

En réalité, c’est tout l’inverse : la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, qui a permis la mise en place de la Ve République, prévoit expressément que toute révision devait être approuvée par le peuple par référendum. Le peuple a donc bien exercé son pouvoir constituant en validant par son vote le texte proposé.

Certes, le contexte politique de l’époque — marqué par la guerre d’Algérie, la crise des institutions et la menace d’un coup d’État militaire auquel le général de Gaulle n’était pas étranger — a pesé sur la procédure. Mais sur le plan juridique, la révision de la Constitution de 1946 pour adopter celle de 1958 reste valide et conforme au droit en vigueur.