Condamnation de Nicolas Sarkozy : le jugement prouve-t-il que Mediapart a fabriqué un faux document ?
Auteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Facebook, le 26 septembre 2025
Depuis la condamnation de l’ancien chef de l’État dans l’affaire dite du financement libyen, plusieurs internautes affirment que l’enquête aurait été lancée à partir d’un faux document fabriqué par Mediapart. Si des doutes subsistent encore sur la nature exacte de cette pièce, la justice a définitivement exclu toute intention frauduleuse des journalistes.
Vous reprendrez bien un peu de polémique ? Depuis le jugement dans l’affaire dite des « financements libyens », la polémique revient sur la fameuse « note Koussa », publiée par Mediapart en avril 2012.
Ce document, daté du 9 décembre 2006, est présenté comme signé par Moussa Koussa, alors chef des services secrets extérieurs libyens, et adressé à Bachir Saleh, haut responsable du fonds d’investissement du régime.
La note indique que le régime de Mouammar Kadhafi a donné son accord pour financer à hauteur de 50 millions d’euros la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Elle ne relate pas un virement effectif, mais un accord de principe.
Peu de temps après sa publication, Nicolas Sarkozy a attaqué Mediapart pour « faux et usage de faux » en 2013. Après plusieurs années de procédure, la justice a ordonné un non-lieu définitif en 2019 en faveur du journal.
Pourtant, dans son jugement du 25 septembre 2025 condamnant Nicolas Sarkozy pour association de malfaiteurs, les magistrats indiquent qu’il est « probable » que ce document soit un « faux ».
« Un faux document sur un prétendu financement libyen… fabriqué par l’officine médiatique gauchiste Mediapart d’Edwy Plenel », enrage un internaute. Sur Europe 1 ou encore dans le Figaro, on pointe également cette note pour critiquer le travail du journal d’enquête. Alors que sait-on de ce document ?
Authenticité non contestée par la justice
Par trois fois, la justice française a considéré que la « note Koussa » était probablement authentique. En juin 2016, Mediapart obtient d’abord un non-lieu pour faux et usage de faux.
Les magistrats estiment qu’« indépendamment de son contenu », l’enquête n’avait pas permis d’établir « de façon formelle » qu’il s’agissait d’« un support fabriqué par montage » ou « altéré par des falsifications ». Cette décision a ensuite été confirmée par la cour d’appel en 2017, puis par la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, en 2019.
Dans son arrêt disponible en ligne, la Cour souligne que l’instruction a montré : que « trois experts commis […] ont conclu » que la signature figurant sur le document « était bien celle » de Moussa Koussa ; que l’expertise numérique ne présentait « aucune trace d’altération » ; que les auditions « d’anciens ambassadeurs de France en Libye ont confirmé que la note présentait les caractéristiques habituelles des documents officiels libyens ».
Autrement dit, la justice française a totalement blanchi Mediapart de toute intention frauduleuse et jugée qu’il n’était pas possible d’affirmer que la note était un faux.
Un contenu jugé peu crédible
Pourtant, le 25 septembre dernier, la « note Koussa » a été citée dans le jugement condamnant Nicolas Sarkozy. « Aucun élément n’a permis de corroborer le contenu de la note, laquelle apparaissait déjà fragile notamment du fait de l’impossibilité pour Brice Hortefeux d’avoir été présent en Libye à la date indiquée. Il apparaît désormais que le plus probable est que ce document soit un faux », écrivent les magistrats.
Cette différence d’approche entre deux juridictions peut donner l’impression d’une contradiction. Elle s’explique surtout par l’angle retenu par les différents magistrats : dans la procédure pour « faux et usage de faux », les juges se sont concentrés sur la matérialité du document, sans se prononcer sur la véracité des faits qu’il relatait.
Dans le jugement du 25 septembre 2025, en revanche, ce n’est plus la forme qui est en cause, mais bien le contenu de la note, jugé peu crédible, notamment en raison de l’impossibilité pour Brice Hortefeux d’avoir été présent à une réunion mentionnée dans la note.
Selon le document, cette réunion se serait tenue le 6 octobre 2006 à Tripoli, en présence de Brice Hortefeux et de l’intermédiaire Ziad Takieddine. C’est précisément cette participation supposée qui a été jugée impossible à la date et au lieu mentionnés.
En 2019, la Cour de cassation a fait preuve de plus de prudence. Elle indique que des investigations ont été menées sur les emplois du temps de Brice Hortefeux et que certains éléments plaident en faveur de l’impossibilité de la réunion. Mais elle conclut que ces vérifications n’ont pas permis d’aboutir à une « certitude absolue ».
Une décision contestée
« Qu’il y ait pu avoir une erreur de date dans le document – un classique des archives libyennes du fait du calendrier “révolutionnaire” imposé par Kadhafi –, comme l’a relevé le tribunal, n’en fait évidemment pas un faux », rétorque Mediapart dans ses colonnes au lendemain du jugement de Nicolas Sarkozy en 2025.
Quoi qu’il en soit, la décision du 25 septembre 2025 ne tranche pas définitivement la question de l’authenticité. Les magistrats estiment seulement qu’il est « probable » que ce document soit un faux.
Une prudence que ni certains internautes, ni l’éditorialiste d’Europe 1, Laurent Tessier, n’ont jugé bon de rappeler. Ainsi, contrairement à leurs affirmations, la justice française n’a jamais certifié que la « note Koussa » était un faux, et encore moins que Mediapart ait pu fabriquer le document.