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Capture d'écran Facebook

Attention à cette vidéo prétendant montrer l’assassin d’une réfugiée ukrainienne

Création : 16 septembre 2025

Autrice : Maylis Ygrand, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte Facebook, le 14 septembre 2025

Des internautes partagent une vidéo censée montrer la condamnation à mort d’un homme accusé d’avoir tué une réfugiée ukrainienne, en août 2025. Mais le procès n’a en réalité pas encore eu lieu et l’extrait présente le verdict d’un autre jugement.

Tel un couperet. En apprenant sa condamnation à mort, l’homme s’effondre en larmes. Selon certains internautes, cette vidéo qui circule sur les réseaux sociaux montrerait Decarlos Brown, le principal accusé du meurtre d’Iryna Zarutska.

Le 22 août dernier, cette réfugiée ukrainienne aux États-Unis meurt poignardée dans un métro de Charlotte, en Caroline du Nord. L’auteur présumé du meurtre, Decarlos Brown, souffrirait de troubles psychiques.

À en croire la vidéo, quelques semaines plus tard, le verdict est rendu. « La justice est déjà passée aux USA !!! Sacrée différence avec la France », s’exclame un internaute. « Quand la justice passera-t-elle aussi rapidement chez nous ??? », interroge un autre.

Si Decarlos Brown risque bien d’être condamné à la peine de mort, la vidéo partagée en ligne montre en réalité la sentence d’un autre procès. Comme en France, les procès pour meurtre aux États-Unis peuvent avoir lieu plusieurs années après les faits.

Un procès qui n’a pas encore eu lieu

Une simple recherche par image inversée et la supercherie est démasquée. La vidéo qui circule sur les réseaux sociaux date en réalité de 2016. Et la condamnation en question ne concerne pas Decarlos Brown, mais un certain Jaleel Smith-Riley. Ce dernier a été reconnu coupable d’avoir tué une femme et d’avoir blessé son petit ami en 2013.

Le procès de Decarlos Brown n’a en réalité pas encore eu lieu. Contactée par Les Surligneurs, Noel Nickle — qui a travaillé pendant seize ans comme spécialiste dans les affaires de condamnation à mort, avant de devenir directrice exécutive de l’organisation Coalition de Caroline du Nord pour des alternatives à la peine de mort — affirme que « la préparation au procès, y compris une évaluation psychiatrique de M. Brown, prendra au moins quelques années ».

D’après un rapport du Criminal Justice Innovation Lab de l’université de Caroline du Nord, le délai médian pour juger les crimes graves devant la Superior Court en Caroline du Nord était de 259 jours en 2019 (soit environ 8 mois et demi).

Mais cette statistique recouvre des infractions très diverses : viol, meurtre, fraude grave, etc. Les Surligneurs n’ont trouvé aucune source permettant d’isoler les seuls cas d’homicides. Quoi qu’il en soit, contrairement à ce qui circule sur les réseaux sociaux, Decarlos Brown n’a pas encore été jugé. Le jour où son procès s’ouvrira, il pourrait toutefois encourir la peine de mort.

Des poursuites fédérale et étatique

Le 9 septembre dernier, la procureure générale des États-Unis, Pam Bondi, a promis de réclamer la « peine maximale » pour Decarlos Brown. Une demande dans la suite logique des derniers événements en date.

En effet, de retour à la Maison-Blanche, en janvier dernier, Donald Trump avait pris un décret pour encourager les procureurs à réclamer la peine de mort dès qu’il était possible de l’appliquer — il a d’ailleurs appelé à sanctionner de la peine capitale Decarlos Brown.

Quant aux procureurs du comté de Mecklenburg, où se situe la ville de Charlotte, ils accusent Decarlos Brown de meurtre au premier degré. « Personne n’a été condamné à mort à Charlotte depuis plus de 15 ans, il est donc quelque peu improbable qu’un jury fasse cela », précise Noel Nickle.

Des exécutions en suspens

Plus largement, en Caroline du Nord, la dernière exécution remonte à 2006. S’il n’existe pas de moratoire légal dans cet État — il est toujours légalement possible de condamner quelqu’un à mort —, plusieurs contestations judiciaires ont conduit à un moratoire de facto.

En cause notamment, l’adoption en 2009 par l’assemblée générale de la Caroline du Nord de la loi sur la justice raciale. Cette dernière permet aux condamnés à mort de contester leur condamnation à la peine capitale, en invoquant qu’une discrimination raciale aurait contribué à cette décision.

D’après Noel Nickle, « la plupart des 121 personnes condamnées à mort ont un litige en attente basé sur la loi sur la justice raciale ».

D’autres obstacles se mettent en travers des exécutions. Depuis 1998, l’injection létale est par exemple devenue la seule méthode d’exécution de la Caroline du Nord. Or, « certains États ont eu des difficultés à obtenir les médicaments nécessaires pour une injection létale », indique Noel Nickle.

Decarlos Brown rejoindra donc peut-être le couloir de la mort, pour une période indéterminée.