La pétition sur l’immigration peut-elle « s’imposer au président de la République », comme l’affirme Philippe De Villiers ?
Autrice : Sarah Auclair, doctorante en droit public à l’Université Paris-Est-Créteil
Relecteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Philippe De Villiers, le Journal du Dimanche, 10 septembre 2025
Philippe de Villiers affirme qu’une pétition peut contraindre Emmanuel Macron à organiser un référendum sur l’immigration. En réalité, aucune pétition n’a de portée juridique obligatoire en France : elle peut peser politiquement, mais ne saurait imposer un référendum au président de la République.
Philippe de Villiers a lancé début septembre une pétition en ligne réclamant l’organisation d’un référendum sur l’immigration. Dans une interview au Journal Du Dimanche, le 10 septembre 2025, il affirme que « lorsque cette pétition aura été signée par de très nombreux Français, elle s’imposera au président de la République. Il faudra qu’il saisisse le peuple français, il faudra que, par une loi référendaire, le peuple français puisse s’exprimer ».
Pourtant, une telle affirmation est trompeuse juridiquement, car en droit français, aucune pétition ne « s’impose » au chef de l’État, et encore moins dans les formes que prend celle du fondateur du Puy-du-Fou.
Une pétition qui peut peser politiquement, mais pas juridiquement
Depuis le 1er octobre 2020, les citoyennes et citoyens peuvent déposer une pétition sur la plateforme en ligne de l’Assemblée nationale, sous réserve de conditions strictes de recevabilité, pourtant ce n’est pas la voie qu’a choisie Philippe de Villiers.
En effet, sa pétition n’a pas été déposée sur le site officiel de l’Assemblée, mais hébergée sur un site privé et indépendant. Cette plateforme semble donc « faillible » car aucune vérification solide n’existe sur l’authenticité ou l’unicité des signatures, contrairement au site de l’Assemblée qui exige une authentification via FranceConnect. Sa légitimité s’en trouve donc affaiblie.
Et quand bien même sa pétition aurait été déposée sur le site de l’Assemblée nationale, elle n’aurait pas eu davantage de portée juridique. En effet, si le droit de pétition existe bel et bien, il aurait peu d’effet juridique contraignant.
Même lorsqu’une pétition officielle franchit le seuil des 500 000 signatures dans au moins 30 départements, la Conférence des présidents n’a qu’une faculté, celle de décider d’organiser un débat en séance publique. Mais cette étape ne crée pas d’obligation juridique.
L’exemple de la pétition contre la loi Duplomb l’illustre bien. Malgré plus de deux millions de signatures et de houleux débats, elle n’a en rien obligé le législateur à modifier ou abroger le texte.
Et par conséquent, la pétition de Philippe de Villiers n’obligera pas le président de la République à soumettre un projet de loi référendaire au peuple français.
Emmanuel Macron, mauvaise cible de la pétition
Dans l’hypothèse où la pression politique convaincrait Emmanuel Macron de recourir au référendum, tout ne dépendrait pas uniquement de sa volonté. Selon l’article 11 de la Constitution, le Président « peut soumettre au référendum tout projet de loi” soit “sur proposition du Gouvernement” soit “sur proposition conjointe des deux assemblées ».
Les thèmes ouverts à ce type de consultation restent limités : organisation des pouvoirs publics, réformes économiques, sociales ou environnementales, ou encore ratification de certains traités. Pour autant, s’agissant de l’immigration, le Conseil constitutionnel a jugé en avril 2024 que certaines mesures pouvaient entrer dans ce cadre, en les rattachant à la politique économique et sociale.
Reste enfin le référendum d’initiative partagée (RIP), instauré en 2008. Pour qu’il voie le jour, il faut d’abord qu’un cinquième des parlementaires dépose une proposition de loi, puis qu’un dixième du corps électoral, soit près de 4,9 millions d’électeurs, la soutienne. Ce dispositif est, dès l’origine, filtré par le Conseil constitutionnel, chargé de vérifier la conformité du texte à la Constitution.
Mais en janvier 2024, c’est ce contrôle qui a conduit au rejet de la proposition des Républicains sur l’immigration, certaines dispositions étant jugées contraires à la Constitution. Dans les faits, aucune procédure de RIP n’a jamais abouti.
La plus avancée, en 2019, contre la privatisation d’Aéroports de Paris, n’a rassemblé qu’un peu plus d’un million de soutiens, bien loin du seuil requis. Ce mécanisme paraît donc être davantage un instrument de pression politique.
Finalement, si la pétition de Philippe de Villiers peut avoir un poids symbolique ou politique, juridiquement rien n’impose au président de recourir au référendum. Quant au RIP, seul mécanisme encadré permettant une initiative presque citoyenne, il reste soumis au filtre du Conseil constitutionnel et à un seuil de signatures si élevé qu’il n’a, jusqu’ici, jamais abouti.