Non, il ne manque pas des « pages » de ce manuscrit anti-vaccination dans les archives nationales
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II
Source : Compte X, le 5 août 2025
La différence entre plusieurs archives numérisées du livret « La Catastrophe des vaccinations obligatoires » de 1948 tient à deux pages qui sont en réalité une brochure amovible qui ne fait pas partie du livre.
Son fonds est l’un des plus riches au monde, mais à en croire certains, il y aurait des trous dans la raquette. La Bibliothèque nationale de France (BnF), établissement public et puits de savoir par excellence, a pour mission de collecter, conserver, enrichir et communiquer le patrimoine documentaire national. Mais sur les réseaux sociaux, un internaute accuse l’établissement d’avoir tronqué un document sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF et de ses partenaires.
« Voici les pages 3 et 4 du livret La Catastrophe des vaccinations obligatoires, qui n’apparaissent pas dans les archives de la BnF Gallica. On se demande bien pourquoi ! Censuré ? À vous de juger », propose d’une façon faussement naïve l’internaute dans un fil de publications sur X vu plus de 140 000 fois en joignant des liens vers les archives Gallica.
Si ces fameuses « pages » apparaissent dans d’autres archives numériques, son absence dans la base de données de la BnF est due au fait qu’il s’agit d’une brochure pour faire adhérer les lecteurs à une ligue antivaccin de l’époque. Or, ce document n’étant pas directement lié au livret originel n’a pas été archivé par la BnF, mais l’a été par une université canadienne.
Deux archives numériques différentes
Le constat de l’internaute est facile à vérifier : sur le site de Gallica, on trouve la numérisation de « La catastrophe des vaccinations obligatoires », un livret d’une vingtaine de pages qui, comme son nom l’indique, s’oppose aux vaccinations obligatoires au milieu des années 1940 et qui fut écrit par Jules Tissot, un biologiste.
Sauf que la version de ce livret publié en 1948 est quelque peu différente sur un autre site d’archivage collaboratif : la WayBack Machine. La version de « La catastrophe des vaccinations obligatoires » qui s’y trouve a été téléversée par l’université québécoise McGill et est en tout point identique dans son contenu à celle de la BnF… à une différence près : deux pages supplémentaires – la troisième et la quatrième page– ont été numérisées par l’université canadienne.
Ces deux pages auraient-elles été retirées de l’archive française ? En réalité, c’est plutôt le contraire : l’archive québécoise possède un ajout supplémentaire qui n’apparaissait pas dans le livret originel.
Un bulletin d’adhésion à la première ligue antivax française
L’analyse du document permet de trancher. Les deux pages en question ne suivent pas la pagination logique du livret : la « troisième page » commence par une moitié de phrase sans lien avec la fin de la « deuxième page », tandis que la « quatrième page » s’enchaîne de manière fluide avec la troisième.
Une mention explicite indique d’ailleurs que cette « circulaire est gratuite et sa vente interdite », contrairement au livret, vendu 20 francs. Il s’agit donc d’un feuillet recto-verso, inséré dans certains exemplaires pour faire la promotion d’une organisation : la ligue « Santé et Liberté ».
Ce tract explique que le docteur Jules Tissot souhaite défendre les citoyens contre les « machinations du fabricant de vaccins ». « Dans ce but, il a fait imprimer une brochure intitulée : La Catastrophe des vaccinations obligatoires. […] Elle vous prouvera que le seul moyen de vous protéger contre les effets catastrophiques des vaccins est la formation rapide d’une ligue nationale appelée ‘Santé et Liberté' », est-il écrit.
À cette époque, les vaccinations contre la diphtérie en 1938, le tétanos et la typhoïde en 1940 deviennent obligatoires. « Jules Tissot est un personnage important puisque c’est le fondateur en 1948 de la première ligue antivax française », explique Laurent-Henri Vignaud, maître de conférences en histoire moderne et co-auteur du livre Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, éd. Vendémiaire, 2019.
Tissot, professeur de physiologie au Muséum de Paris, tente de confirmer les théories d’un anti-pasteur : Antoine Béchamp, grand pourfendeur de la théorie cellulaire. « Jules Tissot n’obtient toutefois le soutien que de quelques médecins dans son combat d’arrière-garde contre le pastorisme, et la majorité de la corporation rejette ses théories. Contre ce complot du silence, qu’il pense ourdi par l’Institut Pasteur, il fonde en 1948 une première ligue anti-vaccination: Santé et Liberté », écrivent les auteurs dans Antivax.
Le coût de la cotisation indiqué à la fin du tract finit de prouver qu’il s’agit d’un « bulletin d’adhésion à cette ligue », comme le suppose Laurent-Henri Vignaud, contacté par Les Surligneurs. Nul complot ourdi par la BnF ici, les archiveurs français n’ont tout simplement pas archivé le tract, mais seulement le livret.