Rien ne prouve que les niveaux de testostérone des hommes de 20 ans sont égaux à ceux des septuagénaires des années 1970
Dernière modification : 1 août 2025
Auteur : Nicolas Turcev, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II
Source : Compte Instagram, le 11 juillet 2025
Une publication virale alarme sur la chute drastique de cette hormone chez les jeunes. Si quelques études attestent d’une baisse tendancielle de la testostérone depuis plusieurs décennies, elle n’a rien de catastrophique, et ne présente pas de risque majeur pour la santé publique.
La crise n’est pas hormonale, mais existentielle. Sur les réseaux sociaux, la gent masculine s’affole : les niveaux de testostérone des hommes de 20 ans d’aujourd’hui seraient tombés aussi bas que ceux des hommes de 70 ans des années 1970, selon une publication « aimée » des centaines de milliers de fois.
La situation serait inquiétante. « Moins de T[estostérone] = moins de muscle, moins de libido, plus de fatigue et de chutes d’humeur », avertit l’auteur du post. En France, les relais habituels de la désinformation s’en sont fait l’écho car « ce sujet est très impopulaire […] à une époque où l’on préfère s’en prendre à la ‘masculinité toxique' ». Les perturbateurs endocriniens, qui « rend[ent] les hommes malades », sont désignés comme responsables de ce plongeon statistique.
Alors, la testostérone est-elle en train de s’évaporer du corps des jeunes hommes, à l’abri des regards ? Pas vraiment : la situation n’est pas si dramatique. Si plusieurs études indiquent bien une baisse tendancielle des niveaux de testostérone avec le temps, aucune ne documente une chute drastique et dangereuse de cette hormone chez les jeunes hommes.
Surtout, aucun article scientifique ne compare des cohortes composées de vingtenaires actuels avec des septuagénaires d’il y a 50 ans. Résultat : la publication « est tout à fait inexacte », certifie Micheline Misrahi-Abadou, professeure de biologie moléculaire à l’université Paris-Saclay.
« Deux études menées aux États-Unis et au Danemark ont montré qu’un homme de 65 ans en 1985 sécrétait des taux de testostérone qui étaient 17 % plus élevés qu’un homme de 65 ans en 2004, restitue la spécialiste. Donc il y a un déficit [sur plusieurs décennies], mais qui est très modéré, et qui touche surtout les personnes âgées. »
« Le vingtenaire ne craint rien »
En moyenne, à partir de 30 ans, les hommes perdent 1 % de testostérone par an selon l’Association française d’urologie, « ce qui n’est pas beaucoup », rassure Micheline Mirashi-Abadou. Ce pourcentage augmente après 60 ans et peut déboucher sur des baisses notables de l’hormone sexuelle. Après 70 ans, cette diminution n’entraînera toutefois des symptômes « que dans 10 à 20 % des cas […], donc une part finalement très faible [des hommes] ».
La différence avec les années 1980 est qu’il y a beaucoup plus d’obésité, laquelle joue un rôle important [dans la baisse de testostérone]
Les seniors peuvent dans ce cas de figure être atteints d’un hypogonadisme – une diminution de la fonction des glandes sexuelles – lié à l’âge. Il se manifestera, selon la personne, par des troubles de l’érection, de la fatigue, de la perte de motivation, des sautes d’humeur, etc.
Les symptômes présentés par certains internautes comme pouvant atteindre les jeunes concernent donc exclusivement les hommes âgés. « Le vingtenaire ne craint rien, l’hypogonadisme est très tardif chez l’homme », affirme Micheline Mirashi-Abadou.
Le déclin des niveaux de testostérone dans le temps chez les plus de 65 ans s’explique, lui, par l’évolution des modes de vie. « La différence avec les années 1980 est qu’il y a beaucoup plus d’obésité, laquelle joue un rôle important [dans la baisse de testostérone], tout comme d’autres pathologies comme l’hypertension artérielle et le diabète, explique Micheline Misrashi-Abadou. Mais l’hypogonadisme régresse quand elles sont traitées. »
Une étude états-unienne montrant une diminution de 25 % des taux de testostérone chez les 15-39 ans entre 1999 et 2016 parvient à la même conclusion. « Les valeurs les plus basses de testostérone sont associées à une hausse des comorbidités [des pathologies ou comportements nocifs, ndlr] », dont, en particulier, l’obésité, remarquent les chercheurs. Le taux de testostérone moyen enregistré au sein de la cohorte de 2016 se situait toutefois dans une fourchette saine, selon la littérature scientifique.
En résumé, si une diminution de la testostérone a pu être constatée ces dernières années, elle est surtout liée à des facteurs environnementaux et ne présente des risques que chez les personnes âgées. Les tentatives de dresser la chronologie des taux de testostérone laissent néanmoins certains scientifiques sceptiques.
Les difficiles comparaisons temporelles
« Les méthodes pour mesurer la testostérone se sont améliorées considérablement ces 40 dernières années, et il n’est pas conseillé de comparer des niveaux mesurés par d’anciennes méthodes à ceux mesurés avec des outils contemporains », confiait à Newsweek, en 2022, le médecin états-unien et spécialiste de la testostérone Michael Samozuk.
Il n’est pas possible de tirer des conclusions signifiantes des évolutions temporelles dans [les niveaux] de testostérone
À ce biais s’ajoutent d’autres paramètres difficiles à pondérer sur des études longitudinales conduites sur plusieurs décennies. Par exemple, les niveaux de testostérone, tout en restant sains, peuvent varier grandement d’un individu à l’autre, mais aussi dans une même journée. Comme sa production par l’organisme est réglée par le rythme circadien, l’hormone est présente en plus grande quantité dans le sang au petit matin que l’après-midi.
« En résumé, à moins que les études comparatives soient strictement ajustées à l’âge, l’état de santé et l’heure de la prise de sang, il n’est pas possible de tirer des conclusions signifiantes des évolutions temporelles dans [les niveaux] de testostérone », affirme Michael Samozuk.
Quant au rôle des perturbateurs endocriniens dans la régulation de l’hormone, il n’est à ce jour que « supposé », selon Micheline Misrashi-Abadou, « sauf dans des cas très particuliers comme avec les agriculteurs qui sont exposés à des concentrations énormes de pesticides ».
L’Institut national de recherche et de sécurité classe la diminution de la testostérone dans les effets « soupçonnés » des perturbateurs endocriniens. Mais il estime que « très peu d’études permettent aujourd’hui d’établir un lien causal clair entre l’exposition à un perturbateur endocrinien et la survenue de pathologies chez l’homme ». L’organisme incite toutefois à « la prudence » dans l’utilisation de ces mélanges chimiques.
Make testosterone great again
Malgré l’absence de preuves scientifiques solides, la baisse supposée de la testostérone chez les jeunes ne cesse d’affoler la toile depuis quelques années. Originaire des États-Unis, la psychose liée aux hormones s’est taillé une place de choix dans le récit masculiniste propagé par des personnalités d’extrême droite. Tucker Carlson, ancien présentateur de Fox News et soutien de Donald Trump – qui avait lui-même exhibé ses niveaux de testostérone en 2016 – en a fait l’un de ses chevaux de bataille.
Dans un documentaire intitulé La fin des hommes, paru en 2022, l’ex-vedette propose aux jeunes hommes une méthode, totalement inefficace, pour booster leurs niveaux de testostérone : faire bronzer leurs testicules.

Tucker Carlson, présentateur de Fox News lors du Sommet des idées du National Review Institute, le 29 mars 2019 à Washington. (Photo : ChiP Somodevilla / Getty Images via AFP)
À l’image de cette séquence, la supposée crise hormonale masculine est, aux États-Unis, devenue un point de fixation et de rencontre entre les espaces consacrés au bien-être des hommes (musculation, nutrition…) et les discours politiques conservateurs centrés sur la reconstruction de la virilité, qui serait assiégée par les courants progressistes comme le féminisme.
En 2022 déjà, un populaire influenceur bien-être anglo-saxon arguait que « les niveaux de T[estostérone] sont à leur plus bas depuis toujours rendant les hommes fragiles, peu sûrs d’eux, faibles en énergie et féminisés (loin de ce que veut Mère Nature, c’est-à-dire un homme primal en bonne santé, fort et confiant !) ».
Le sujet a fait réagir jusqu’au gouvernement états-unien. « Un adolescent américain d’aujourd’hui a moins de testostérone qu’un homme de 68 ans », a déclaré, en avril 2025, le ministre de la Santé des États-Unis, Robert F. Kennedy Jr, qui affirme prendre cette hormone dans le cadre de son traitement anti-âge. « Les niveaux de testostérone ont baissé de 50 % par rapport aux niveaux historiques », a-t-il même rajouté, quelques mois avant que des affirmations similaires ne réapparaissent sur les réseaux sociaux.
Contactés, l’auteur de la publication virale et le département de la santé des États-Unis n’avaient pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.