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Crédit : Rafaels06 (CC BY-SA 4.0 - Photo modifiée)

Peut-on interdire aux juges de se syndiquer, comme le propose Jean-Philippe Tanguy ?

Création : 21 juillet 2025
Dernière modification : 23 juillet 2025

Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social à l’université de Nantes

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II

Source : BFMTV, le 10 juillet 2025

Le député RN Jean-Philippe Tanguy a affirmé vouloir interdire aux juges de se syndiquer. Une mesure qui se heurterait frontalement à la Constitution et aux engagements européens de la France.

Invité sur BFMTV le 10 juillet dernier, le député Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national) n’a pas hésité à proposer une réforme radicale : interdire purement et simplement aux juges le droit de se syndiquer.

Cette déclaration, prononcée au détour d’un échange avec la journaliste Apolline de Malherbe, repose sur une vision restrictive de la neutralité judiciaire. Le droit syndical des magistrats n’est ni récent ni facultatif : reconnu depuis les années 1970, il est désormais inscrit dans le statut de la magistrature et protégé par les textes constitutionnels et européens. Autrement dit, la mesure proposée n’est pas seulement politiquement clivante — elle serait surtout inconstitutionnelle.

Une lente consécration du droit syndical des magistrats

Jusqu’à une date récente, la possibilité pour les magistrats de se syndiquer fut d’abord reconnue par la jurisprudence administrative (Conseil d’État, 1er décembre 1972, Obrego). La loi organique du 8 août 2016 a définitivement inscrit dans le statut de la magistrature un nouvel article qui dispose de manière explicite : « Le droit syndical est garanti aux magistrats qui peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats. »

La liberté syndicale est un droit fondamental, reconnu dans le bloc de constitutionnalité français, en particulier par le point 6 du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. » À la différence du droit de grève, ce texte ne prévoit d’ailleurs aucune possibilité pour le législateur d’en limiter l’exercice.

Cette liberté est également protégée par des textes internationaux tels que l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 5 de la Charte sociale européenne, ainsi que l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ces derniers textes admettent cependant que des restrictions légitimes puissent être imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat.

Peut-on alors interdire par la loi le droit de se syndiquer aux magistrats ?

À propos des militaires, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi jugé que l’interdiction pure et simple de constituer ou d’adhérer à un syndicat porte à l’essence même de la liberté d’association, une atteinte qui ne saurait être proportionnée ni être « nécessaire dans une société démocratique » (CEDH, 2 octobre 2014, Matelly c/ France). Ce raisonnement est évidemment transposable aux magistrats.

Le Conseil constitutionnel considère possible pour le législateur d’adopter des dispositions particulières applicables aux agents des administrations publiques, salariés dans les conditions du droit privé, concernant le droit d’expression des salariés ou le droit syndical mais cela ne peut évidemment consister en une interdiction pure et simple du droit de se syndiquer.

Obligation de réserve et impartialité : les seules restrictions possibles

Si la liberté syndicale des magistrats est garantie, elle s’exerce dans le respect des obligations inhérentes à leurs fonctions, notamment le devoir de réserve et le principe d’impartialité, comme le rappelle le recueil des obligations déontologiques des magistrats. Mais ce document précise bien que « les prises de position d’une organisation syndicale ne sauraient servir de fondement à la mise en cause de l’impartialité d’un magistrat au seul motif qu’il est membre de cette organisation syndicale ».

Interdire aux magistrats de se syndiquer, comme le propose Jean-Philippe Tanguy, est bien inconstitutionnel et contraire aux engagements internationaux de la France.