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Gaza : la France ou Emmanuel Macron pourraient-ils être jugés pour complicité de génocide ?

Création : 8 juillet 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relecteur et relectrice : Pascal Turlan, juriste spécialiste du droit international et ancien conseiller au bureau du procureur de la Cour pénale internationale

Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Clémence Guetté à l'Assemblée nationale, le 25 juin 2025

La députée LFI Clémence Guetté estime possible que la France doive, « un jour » rendre des comptes devant la justice internationale pour son implication dans le conflit au Proche-Orient. Mais comme pour la qualification de génocide, les juristes sont partagés sur cette éventualité.

Emmanuel Macron devra-t-il un jour répondre devant des juges de sa politique au Proche-Orient ? Lors de la session de questions au gouvernement du 25 juin 2025, la députée de La France insoumise, Clémence Guetté, a émis l’hypothèse : « Un jour, la France et le président Macron seront peut-être jugés, parmi d’autres dirigeants, devant un tribunal international pour complicité de génocide », a déclaré l’élue, qui réagissait aux bombardements états-uniens sur les sites nucléaires iraniens.

Si la responsable de gauche a qualifié ces frappes de « crimes de guerre », la référence au génocide porte sur l’offensive israélienne à Gaza, régulièrement évoquée en ces termes par les représentants de La France insoumise, comme l’a confirmé aux Surligneurs l’équipe de Clémence Guetté. 

Le débat sur la nature génocidaire de la campagne militaire israélienne à Gaza fait rage chez les juristes et des procédures sont en cours, comme nous le rappelions ici. Mais à l’heure actuelle, aucune juridiction internationale n’a reconnu l’existence d’un génocide. 

Pour autant, cela exclut-il la possibilité qu’« un jour », la France ou Emmanuel Macron puissent être inquiétés pour complicité de génocide ? En théorie, non, « mais le chemin est très, très étroit », note Pascal Turlan, spécialiste du droit international et ancien conseiller au bureau du procureur de la Cour pénale internationale.

Le président peut être jugé par la CPI

En matière de génocide, il faut distinguer la responsabilité de la France, en tant qu’État, de celle d’Emmanuel Macron, le chef de l’exécutif. Dans ce deuxième cas, c’est la Cour pénale internationale qui est compétente pour juger les individus qui seraient accusés du crime de génocide. Mais seulement si une telle affaire ne faisait pas déjà l’objet d’enquêtes ou de poursuites véritables devant une juridiction nationale. Une personne ne peut en effet être poursuivie ou punie deux fois pour les mêmes faits.

Ce cas de figure est, de fait, impossible pour le président français. La Constitution française exclut la possibilité de poursuivre le président devant les tribunaux nationaux pour les actes liés à sa fonction. Elle reconnaît en revanche la capacité de la CPI à poursuivre le chef de l’État en vertu du Statut de Rome qui a créé la Cour. Signé par la France en 1998 et ratifié en 2000, ce traité permet à la CPI de retenir une responsabilité pénale pour les individus suspectés des crimes qui relèvent de sa juridiction, dont le génocide, que ce soit comme auteurs principaux ou complices de ces crimes.

Sur le papier, rien n’empêche les procureurs de la CPI qui enquêtent sur la situation en Palestine d’identifier de possibles complicités parmi les chefs d’État, s’ils devaient conclure à une base suffisante pour engager des poursuites pour un potentiel crime de génocide à Gaza. 

Mais en pratique, la procédure actuellement engagée par le tribunal de La Haye relative au conflit entre Israël et le Hamas ne retient pas le crime de génocide. Pour le moment, les mandats d’arrêt émis par la juridiction, en novembre 2024, contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, portent uniquement sur des crimes de guerre et crimes contre l’humanité possiblement commis dans la bande de Gaza.

Le 16 avril 2025, à Paris, des manifestants tiennent une pancarte concernant le mandat d’arrêt émis contre Benjamin Netanyahu. Crédit : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

 

Affaire classée ? Pas forcément. « Ça ne veut pas dire que la CPI n’engagera pas à l’avenir des poursuites pour génocide, ou même que ce n’est pas déjà le cas de manière confidentielle, remarque Damien Scalia, professeur de droit à l’université libre de Bruxelles et membre des Juristes pour le respect du droit international (JURDI). La complicité peut d’ailleurs aussi être recherchée pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. »

Concrètement, le juriste estime que « selon les autorisations qu’aurait pu donner le président français, par exemple sur la livraison d’armes, on pourrait trouver un lien » qui conduirait le chef d’État à être jugé par la CPI.

« On ne peut rien exclure, mais il va falloir travailler très sérieusement pour arriver à démontrer toute une chaîne d’événements et d’intentions, c’est compliqué à poursuivre, tempère Pascal Turlan. Il faudrait prouver que la livraison d’armes ou d’assistance a continué pendant le déroulement du conflit alors que les informations existent, sont claires et ne peuvent pas être ignorées sur la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. »

Le gouvernement se défend d’armer Israël

En la matière, la France n’est pas encore au-delà de tout soupçon. En juin 2025, le média d’investigation Disclose a révélé la vente, par l’entreprise marseillaise Eurolinks, de maillons pour cartouches de fusils-mitrailleurs à l’entreprise IMI Systems, qui ravitaille Tsahal. Ces pièces ont-elles pu être utilisées dans la bande de Gaza ?

Le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, a assuré que les équipements vendus à Israël sont seulement de nature « défensive » ou bien destinés à la réexportation. Autrement dit, l’armée israélienne aurait interdiction de se servir du matériel français dans l’enclave palestinienne. Pour autant, des ONG, comme Amnesty International, déplorent un « manque de transparence » du gouvernement sur sa politique de ventes d’armes à l’État hébreu.

La CPI se penchera-t-elle sur la nature de ces transferts d’équipements pour rechercher une éventuelle complicité du président français ? Probablement pas, selon les juristes interrogés par Les Surligneurs.

« Aujourd’hui, la CPI, c’est à peu près 18 juges, sans compter les juges ad hoc, qui doivent juger toutes les affaires dans le monde, resitue Yann Jurovics, maître de conférences en droit international à l’université d’Evry. Donc on juge quelques rares affaires dont le procureur peut se saisir. Et dans ces rares affaires, on juge peu de personnes : ici par exemple, la CPI a choisi seulement deux personnes au sein du gouvernement israélien et trois dans le mouvement du Hamas [depuis tuées par l’armée israélienne, ndlr]. On ne peut pas juger plus, on n’a pas le temps. »

L’ancien juriste à la chambre d’appel du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda rappelle que « la justice internationale est une justice de complément, ce sont d’abord les juridictions nationales qui doivent se saisir ».

Si en France, une mise en accusation du président est exclue par son irresponsabilité devant la justice, le chef de l’exécutif pourrait-il répondre de ses actes devant une juridiction étrangère ? 

Là encore, la réponse est non. Dans une affaire opposant le Congo à la Belgique en 2002, la Cour internationale de justice (CIJ), l’organe de l’ONU compétent pour juger les différends entre États, a établi que les juridictions étrangères « n’ont pas le droit de faire juger une personne titulaire d’une immunité reconnue au niveau international pour les actes relevant de ses fonctions », explique Yann Jurovics. Immunité dont bénéficie le président de la république.

En résumé, sur le plan individuel, Emmanuel Macron ne pourrait être jugé pour complicité de génocide que devant la CPI, et cela paraît peu probable. La France, en tant qu’État, est-elle plus exposée aux poursuites ?

La France peut être visée par une procédure devant la CIJ

A l’heure actuelle, la seule juridiction en mesure d’établir les responsabilités des pays dans la commission d’un génocide est la CIJ. Le tribunal a justement été saisi, en décembre 2023, par l’Afrique du Sud pour déterminer si Israël a enfreint ses obligations relatives à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Au bout de cette procédure, qui ne vise pas à établir la responsabilité d’individus, « la CIJ pourrait dire qu’il y a eu manquement à l’obligation d’Israël de prévenir ou de punir la commission d’un génocide, mais aussi prononcer une responsabilité internationale de l’État pour la commission de ces actes, décrypte Pascal Turlan. Dans ce cas-là, il est possible d’envisager qu’elle prononce une complicité de la part d’autres États, de par la fourniture de moyens destinés à permettre ou faciliter la commission de ce crime. »

La France n’est donc, en principe, pas à l’abri d’un jugement international. La CIJ pourrait même être directement saisie par un autre État qui estimerait que la France a concouru à un crime de génocide dans la bande de Gaza. C’est ce qu’a fait le Nicaragua en déposant, le 1er mars 2024, une requête contre l’Allemagne pour des manquements allégués à la Convention sur le génocide.

Le pays d’Amérique central estime que le soutien politique, financier et militaire fourni par l’Allemagne à Israël est de nature à « facilite[r] la commission [d’un] génocide [dans la bande de Gaza] ». Les juges de la CIJ ont refusé d’imposer à l’Allemagne les mesures conservatoires demandées en urgence par le Nicaragua. Mais ils ont aussi exclu de rejeter l’affaire. Le Nicaragua a jusqu’au 21 juillet 2025 pour déposer son dossier devant la CIJ, tandis que celui de l’Allemagne, qui devra répondre aux accusations dont elle est l’objet, est attendu un an après.

A l’issue de ces procédures, y a-t-il une chance qu’une complicité de génocide soit reconnue par le tribunal de l’ONU ? « Il faudrait d’abord qu’il y ait la reconnaissance d’un acte principal de génocide, sinon la CIJ ne va même pas se poser la question de la complicité », précise Pascal Turlan. Et même dans cette hypothèse, la jurisprudence de la Cour « est très restrictive ».

« Même dans le cas du massacre de Srebrenica [commis en juillet 1995, sur lequel la CIJ a rendu son arrêt le 26 février 2007 et qui conclut à un génocide commis par des éléments de l’armée des Serbes de Bosnie, ndlr], les juges n’ont pas reconnu la complicité de génocide pour l’ancienne république yougoslave et l’armée de la république serbe. Alors qu’il y a eu fourniture d’armes essentielles à la continuation du conflit. On se trouvait dans une relation beaucoup plus proche que ce qui pourrait exister entre la France et Israël actuellement. »

Ainsi, si le droit international n’exclut pas totalement qu’Emmanuel Macron ou la France puissent un jour être inquiétés pour complicité de génocide à Gaza, une telle issue reste à ce jour assez improbable, tant les exigences juridiques en la matière sont strictes et les précédents, rarissimes. 

En revanche, la recherche d’éventuelles complicités d’acteurs non étatiques fait des progrès. Le parquet national anti-terroriste a ouvert en mai une information judiciaire pour « complicité de génocide » contre des Franco-Israéliens, à la suite d’une plainte de l’Union juive française pour la paix.