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Crédit : Public Domain + CC BY 3.0 Remi Jouan

Drapeaux palestiniens et israéliens sur les mairies : une justice à deux vitesses ?

Création : 24 juin 2025
Dernière modification : 25 juin 2025

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Compte X de Patrice Leclerc, 20 juin 2025

La justice a ordonné le retrait des drapeaux palestiniens hissés par certains maires, au nom de la neutralité du service public, tout en rejetant le recours contre le drapeau israélien sur le fronton de la mairie de Nice. Une décision critiquée politiquement, mais qui s’explique par la procédure.

La justice a tranché. En soutien à la cause palestinienne, certains maires, comme ceux de Saint-Denis, Gennevilliers, La Courneuve ou encore Mitry-Mory, avaient pavoisé la façade de leurs hôtels de ville de drapeaux palestiniens. Très rapidement, les préfets avaient demandé le retrait des drapeaux, avant, pour certains, de saisir le juge en référé.

Comme Les Surligneurs l’avaient anticipé, le juge a ordonné le retrait des drapeaux, contraires au principe de neutralité des services publics à Gennevilliers dans une ordonnance du 20 juin 2025. Les réactions n’ont pas tardé de la part des maires concernés, notamment celle de l’édile de Gennevilliers, le communiste Patrice Leclerc. Après avoir annoncé qu’il respecterait la décision du juge, il dénonce tout de même un « deux poids deux mesures ».

Dans un communiqué, il cible la mairie de Nice, sur le fronton de laquelle le drapeau israélien est hissé depuis octobre 2023, sans que le juge, saisi par des administrés en référé-suspension, ne s’y soit opposé : « Le tribunal administratif de Nice, saisi par une association, […] a déclaré qu’il n’y avait pas d’urgence. Le tribunal administratif de Cergy, saisi par le préfet, suspend la décision du maire dans la journée qui suit« , dénonce le maire de Gennevilliers. Mais tout ceci s’explique en droit.

À Nice, une procédure d’urgence enclenchée après sept mois par des particuliers

Pourquoi le juge ordonne le retrait du drapeau palestinien et non celui d’Israël ? C’est une question de procédure administrative. Au lendemain du 7 octobre 2023, après les massacres perpétrés par le Hamas, Christian Estrosi, maire de Nice, décide de hisser des drapeaux israéliens sur le fronton de sa mairie, en soutien de l’État hébreu. Mais ce n’est que le 24 mai 2024, soit plus de sept mois plus tard, que des niçois saisissent le juge en référé-suspension pour que les drapeaux soient retirés.

Or, pour qu’un référé-suspension, qui est une procédure d’urgence, soit recevable, il faut deux conditions cumulatives : « lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Les citoyens qui avaient demandé à retirer le drapeau sur la façade estimaient que la condition d’urgence était manifeste car l’arrêté litigieux portait « une atteinte grave et immédiate à leurs intérêts » car « le maintien des drapeaux israéliens sur la façade de la mairie participe à l’amalgame qui pourrait être fait entre la politique du gouvernement israélien et la commune de Nice et accroît le risque pour la sécurité publique des niçois« .

Le tribunal administratif de Nice, lui, a jugé que la condition d’urgence n’était pas remplie car « les drapeaux israéliens sont déployés depuis plus de sept mois« . 

Cette première condition n’étant pas remplie, le juge n’a pas eu besoin d’examiner la deuxième, sur la légalité. S’il avait eu à le faire, nul doute que ce serait jugé illégal au vu de l’évolution des événements et du fait que l’on n’est plus dans la vague d’hommages nationaux qui avait suivi les massacres du 7 octobre. 

Les auteurs du référé-suspension, qui n’aura qu’une conséquence provisoire, ont dû, en même temps, introduire un recours devant le même juge administratif pour faire annuler définitivement la décision de maintenir le drapeau accroché. On attend donc son jugement sur le fond. Contrairement à la procédure en référé qui tend à mettre fin à une urgence – et dont on regarde donc la situation à l’instant T – dans cette procédure, il s’agit de regarder si la décision du maire était illégale. Ce qui signifie que le Tribunal s’en tiendra aux circonstances au moment de l’accrochage, soit en octobre 2023.

À Gennevilliers, une procédure d’urgence enclenchée immédiatement par le préfet

S’agissant du drapeau palestinien à Gennevilliers, le juge a été saisi très rapidement et, différence de taille, il l’a été par le préfet dans l’urgence et non pas par des citoyens. Le maire a pris sa décision le 10 juin 2025, et le préfet l’a déférée au juge le 19 juin, après plusieurs avertissements. Le déféré préfectoral est une procédure différente de celle du référé porté par des particuliers. Le juge rappelle dans sa décision que ce déféré « n’est alors subordonné à aucune condition d’urgence« . Non seulement le préfet a réagi en quelques jours, mais il n’avait pas besoin de remplir la condition de l’urgence.

Depuis la mi-mai, de nombreux préfets – dont celui des Alpes-Maritimes – ont demandé aux mairies d’enlever les drapeaux, qu’ils soient palestiniens, comme à La Courneuve et à Gennevilliers, ou israéliens, comme à Nice et à Antony. Une demande d’usage avant de pouvoir saisir le juge. À la différence que, jusqu’ici, aucun préfet n’a saisi le juge pour retirer les drapeaux israéliens, contrairement aux drapeaux palestiniens.

Et si le préfet des Alpes-Maritimes avait saisi le juge dès la décision du maire de Nice d’accrocher les drapeaux israéliens, le juge aurait-il exigé leur décrochage ? Non, pas au lendemain des massacres, car l’accrochage des drapeaux répondait à une vague nationale d’hommages portée par le gouvernement, mais à ce jour, comme on l’a dit, le raisonnement serait différent.

En tout cas, si le préfet n’a, pour le moment, pas saisi la justice, les membres d’un collectif pro-palestinien ont, de nouveau, déposé un recours pour demander le retrait des drapeaux israéliens du fronton de la mairie de Nice alors que le maire s’y est refusé après même que le préfet lui ait demandé.