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L'énorme engin aperçu dans les vidéos est en réalité un réacteur en route vers une aciérie - Capture d'écran Facebook

Non, cette vidéo ne montre pas une gigantesque « arme secrète » détenue par l’Iran

Création : 24 juin 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris

Source : Compte Facebook, le 23 juin 2025

Un engin massif dont la forme peut évoquer celle d’un obus est présentée sur les réseaux comme l’atout dans l’arsenal de la république islamique. Il s’agit en réalité d’un composant d’une aciérie, livré en 2024.

Au lendemain des frappes états-uniennes sur trois sites nucléaires iraniens, le 22 juin 2025, la riposte s’organisait aussi sur les réseaux sociaux. Plusieurs internautes ont relayé une vidéo, soi-disant diffusée par les médias iraniens, montrant une potentielle « arme secrète » détenue par la république islamique. Le conflit, qui oppose Israël et les États-Unis à Téhéran, est supposé être interrompu par un cessez-le-feu adopté le 24 juin 2025 par les belligérants, mais la trêve est encore précaire.

Sur les images diffusées sur les réseaux, un énorme engin blanc dont la forme peut évoquer celle d’un (gros) obus est remorqué par un camion sur une grande route dégagée. Manifestement interloqués, plusieurs utilisateurs se demandent s’il ne s’agit pas d’une bombe nucléaire, que le régime de Téhéran est suspecté de vouloir se procurer.

Il ne s’agit en réalité aucunement d’une arme, mais d’un réacteur en cours d’acheminement vers l’aciérie de Chatrud, au cœur de l’Iran, servant à produire du fer spongieux, un produit intermédiaire de la sidérurgie.

Le logo met sur la piste du constructeur

Tous les éléments pour parvenir à cette conclusion se trouvent dans la vidéo. Le réacteur est affublé d’un écriteau, surmonté d’un logo bleu appartenant à l’entreprise iranienne Machine Sazi Arak. La société est spécialisée dans la création d’équipements à destination de l’industrie de la métallurgie.

À gauche : le logo sur le réacteur / À droite : le logo de l’entreprise Machine Sazi Arak sur Linkedin

 

Une recherche en persan renvoie vers une dépêche de l’agence iranienne Isna, datée du 13 octobre 2023, illustrée par l’engin en question, recouvert d’une bâche marron, à côté du camion rouge et gris aperçu dans la vidéo.

L’article annonce le début des opérations de transport du réacteur de la ville d’Arak, dans l’ouest du pays, vers sa destination, l’aciérie de l’entreprise Butia Steel, située à Chatrud, dans le comté de Kerman.

Le fourneau doit augmenter la capacité de production du site en fer spongieux, un composant intermédiaire utilisé dans la fabrication de l’acier, à deux millions de tonnes par an. Le voyage est alors estimé à huit mois.

Un convoi de près d’un an

Une recherche d’image inversée permet de reconstituer le périple du convoi grâce à différents comptes Instagram, que ce soit dans un média local, ou bien sur la page du transporteur.

On retrouve la trace du clip utilisé sur les réseaux sociaux sur un compte qui a repartagé de nombreuses images et vidéos du convoi. Au vu de la régularité des publications et de leur contenu, il est probable que l’utilisateur ait lui-même participé aux opérations de transport, mais Les Surligneurs n’ont pas été en mesure de le confirmer.

Les premières images du réacteur postées par le compte datent du 21 septembre 2023, soit quelques jours avant l’annonce des opérations de transport par l’agence Isna. Toujours selon les comptes Instagram, l’arrivée du convoi à l’aciérie de Chatrud est quant à elle intervenue aux alentours du 9 août 2024, soit près d’un an après le départ d’Arak.

Les photos des infrastructures observées sur Instagram correspondent avec d’autres clichés de l’aciérie pris par des utilisateurs de Google. La topographie paraît en plus concorder avec les clichés satellitaires du site de Butia Steel répertoriés par l’ONG Global Energy Monitor, qui catalogue les projets énergétiques sur toute la surface du globe.

Autrement dit, l’engin présenté comme la potentielle « arme secrète » de l’Iran est en fait un équipement destiné à la production d’acier, installé depuis de longs mois au beau milieu du désert de la république islamique.

Contactés, les entreprises Butia Steel et Machine Sazi Arak n’avaient pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.