Non, le Groenland n’a jamais été une vaste étendue d’herbe
Auteur : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W
Source : Compte X, le 11 juin 2025
Des internautes réutilisent un argument régulièrement mobilisé par les détracteurs du réchauffement climatique selon lequel le Groenland était auparavant recouvert d’une végétation luxuriante. Mais cette affirmation est contraire aux connaissances scientifiques.
Fut-un temps, il faisait bon vivre au Groenland. C’est du moins ce que Silvano Trotta, un internaute connu pour relayer des contenus erronés, avance sur son compte X. Selon lui, « avant, le Groenland était une immense étendue d’herbes vertes et grasses ». Reprise sur Facebook, cette affirmation n’est étayée d’aucune source. Elle s’appuie uniquement sur la traduction du nom danois de l’île polaire, « Terre verte » en français.
Silvano Trotta sous-entend, à travers ce post, que le réchauffement climatique actuel n’a rien d’inhabituel ou d’inquiétant puisqu’un Groenland « vert » aurait déjà existé dans le passé.
En affirmant, sans précision historique ni source, que l’île était autrefois couverte « d’herbes vertes et grasses », il suggère que le climat terrestre connaît des variations naturelles indépendantes de l’activité humaine — un point de vue couramment utilisé pour discréditer le consensus scientifique sur l’origine anthropique du changement climatique.
Publicité médiévale
La publication de Silvano Trotta comporte un seul fait incontestable. La traduction de Groenland est bien « terre verte ». Autour de 986, une colonie de Vikings, dirigée par Erik Le Rouge, s’y serait installée. Ce dernier aurait baptisé l’île ainsi parce que « les hommes seront bien plus attirés à l’idée d’y venir si le pays a un beau nom » selon la Saga éponyme, qui aurait été rédigée dans la première moitié du XIIIe siècle.
Le nom donné par les Vikings au Groenland n’aurait donc aucun lien avec l’aspect de l’île dont ils colonisaient le littoral. Il s’agirait simplement d’une manière d’attirer plus d’habitants potentiels. De la publicité, en somme.
Que l’île soit appelée « terre verte » ne suffit pas à prouver qu’elle était un jour couverte d’herbes. Mais, au-delà des considérations linguistiques, le Groenland a-t-il déjà été cet Eldorado vert et luxuriant ?
Groenland dégivré ?
Le Groenland n’a jamais été entièrement gelé, comme le montre plusieurs études scientifiques, ici ou ici. Au cours de périodes très anciennes, une végétation plus importante que celle présente aujourd’hui a pu s’y développer. Mais ces travaux n’affirment en rien que la calotte glaciaire a, un jour, intégralement laissé sa place à un paysage vert et luxuriant comme le prétendent les internautes.
La paléoclimatologue et coprésidente du groupe de travail sur les bases physiques du climat du GIEC, Valérie Masson-Delmotte, est formelle. « On estime que la calotte qui recouvre le Groenland s’est formée il y a environ 2,6 millions d’années ». La scientifique précise que la calotte s’est « parfois un peu réduite, notamment sur ses marges […] il y a 430 000 ans et il y a 125 000 ans, pendant des périodes interglaciaires particulièrement chaudes ». Autrement dit, les glaces du Groenland sont vieilles de plusieurs millions d’années. Si elles ont pu, par moments, se réduire légèrement sur les littoraux, elles n’ont jamais laissé place à une île verte.
Même son de cloche pour la période médiévale, fréquemment mise en avant pour soutenir l’idée d’une période fleurie du Groenland. Les Vikings s’y sont installés pendant l’optimum climatique, une période d’adoucissement du climat entre le Xe et le XIVe siècle.
Cette hausse des températures aurait-elle donc rendu l’île arctique plus verte ? « C’est faux », assure Émilie Gautier, professeure en archéologie et paléoenvironnement à l’Université de Franche-Comté et spécialiste de la zone arctique. « Le Groenland n’était définitivement pas plus vert à la période médiévale. Il est caractérisé par une végétation très stable depuis près de 3 000 ans ». Impossible donc d’affirmer, comme le font les publications sur les réseaux sociaux, que le Groenland a été un jour entièrement verdoyant.
L’île a cependant connu des périodes de réchauffement antérieures au cours desquels la végétation s’est développée par endroits. Mais ces constats ne prouvent en rien que l’Homme n’est pas responsable du réchauffement climatique actuel.
Réchauffement humain
L’existence passée d’un Groenland vert serait un argument de poids pour celles et ceux qui nient toute responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. La logique est simple : si le Groenland a pu se réchauffer et perdre sa calotte glaciaire à certaines périodes de l’histoire, c’est bien la preuve que la montée des températures actuelles n’a rien de nouveau et s’inscrit dans un cycle naturel. Les recherches scientifiques montrent tout l’inverse.

(ARCHIVES) Un voilier « Kamak » naviguant près d’un iceberg en train de fondre dans le fjord Scoresby, au Groenland en 2023. (Photo d’Olivier MORIN / AFP)
Pour Valérie Masson-Delmotte, cet argument consiste à utiliser l’idée « fausse » du Groenland vert pour « faire croire que le climat a connu des cycles et que le changement actuel n’a rien d’exceptionnel ». « En réalité, poursuit la scientifique, le changement climatique actuel au Groenland, représente une rupture sur plusieurs milliers d’années ». La chercheuse indique que cette augmentation « très rapide, en 150 ans », de la température contribue à lui attribuer une origine humaine.
Un article publié en 2019 par le site spécialisé Carbon Brief, démontre que les températures actuelles du Groenland ont en effet augmenté subitement à la fin des années 1980. Qui plus est, elles sont bien plus élevées qu’au cours des derniers 2 000 ans. Cette découverte vient mettre à mal l’idée, souvent utilisée par les détracteurs de l’origine humaine du réchauffement climatique, d’un optimum climatique médiéval plus doux que les températures de nos jours. Mais ces recherches ne s’arrêtent pas là.
« Bien que certaines périodes du début de l’Holocène — entre 9 000 et 5 000 ans avant J.C. — ont pu être plus chaudes au Groenland qu’aujourd’hui, la Terre devrait dépasser n’importe laquelle de ces températures d’ici 2050 si le réchauffement actuel continue », soulignent les auteurs.
Ils ajoutent qu’il est prévu que ce réchauffement continue en « raison des émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine, principalement par la combustion d’énergies fossiles ». En d’autres termes, les variations de température passées du Groenland ne prouvent pas que le réchauffement actuel du climat est d’origine naturelle. Au contraire.
Valérie Masson-Delmotte résume la situation en une image. « Par le passé, les arbres ont pu être abattus par des tempêtes. Cela ne veut pas dire qu’aujourd’hui, les arbres qui tombent ne sont pas coupés par des bucherons ».