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Le site de Durupınar. Crédit : Zorka Sojka / CC BY-SA 4.0

Non, l’Arche de Noé n’est pas enfouie en Turquie

Création : 16 juin 2025
Dernière modification : 17 juin 2025

Auteur : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris

Relecteur : Nicolas Turcev, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W

Source : Compte Facebook, le 2 juin 2025

Plusieurs internautes émettent l’hypothèse qu’une formation géologique turque abrite les preuves de l’existence du légendaire navire. Cette idée repose sur des études non publiées qui manquent de rigueur scientifique.

Une nouvelle page de l’Ancien Testament se tourne. À l’est de la Turquie, dans une région vallonnée bordant l’Iran et l’Arménie, le site de Durupınar correspondrait, selon des internautes (ici ou ici), « au récit biblique qui décrit l’Arche s’établissant dans les montagnes d’Ararat ». L’Arche, ainsi rédigé, désigne le navire géant construit sur ordre de Dieu par Noé pour le sauver, lui, sa famille ainsi que toutes les espèces animales du Déluge.

Comme pour la quête du Graal, l’Arche fait l’objet de nombreuses théories, systématiquement contestées par la communauté scientifique. Pourtant, à en croire les explications publiées sur les réseaux sociaux, de nouvelles études scientifiques menées à Durupınar constitueraient un premier faisceau d’indices scientifiques prouvant l’existence du navire biblique.

En réalité, les « découvertes » contenues dans ces travaux ne démontrent aucunement la présence de l’Arche de Noé à Durupınar. Les Surligneurs ont décrypté les failles méthodologiques de la recherche du mythique bateau, qui ressemble plus à une chasse au trésor qu’à un travail archéologique rigoureux.

La science au service du mythe

Premier élément qui met la puce à l’oreille : les internautes ne renvoient vers aucune source. Une rapide recherche en ligne par mots clés permet néanmoins de remonter jusqu’à plusieurs articles anglophones, publiés au mois de mai 2025 (ici, ici et ici), qui rapportent les travaux de « chercheurs » prétendant « avoir trouvé les vestiges de l’Arche de Noé ».

Ces recherches sont le fait d’un groupe baptisé « Noah’s Ark Scans ». Les Surligneurs n’ont trouvé aucune trace des travaux de ce collectif dans les publications scientifiques de référence en archéologie (ici, ici ou ici). Contacté, le collectif, qui se définit comme un « consortium informel d’individus », précise que ses études n’ont pas encore été rendues publiques.

Un « flou artistique » qui intrigue Catherine Marro, archéologue et spécialiste du Proche-Orient Ancien au CNRS. « Quand on essaie de prouver quelque chose, il faut que les méthodes soient parfaitement claires et qu’on sache très exactement quels protocoles ont été suivis », insiste la chercheuse.

Des résultats qui ne prouvent rien

Les internautes reprennent les éléments de langage de l’équipe de Noah’s Ark Scans qui affirme avoir réalisé des « scans » du site de Durupinar révélant « des cavités internes et des structures linéaires compatibles avec une grande construction artificielle sous la surface ». Pourtant, « ces scans ne nous donnent ni la nature ni la date de cette cavité », rétorque Jodi Magness, archéologue et professeure en judaïsme ancien à l’université de Chapell Hill. Autrement dit, contrairement à ce que suggèrent les publications sur les réseaux sociaux, rien ne permet de certifier que la structure est d’origine artificielle.

À cela s’ajouteraient des « échantillons de sol prélevés à l’intérieur » de la formation géologique qui « contiennent 40 % de potassium en plus que les échantillons de contrôle prélevés à l’extérieur ». Cette teneur en potassium « pourrait correspondre à la décomposition de bois ancien ».

Serait-ce le bois de l’Arche ? Impossible à savoir. « Même en prouvant qu’il s’agit bien de traces de bois ancien, ce serait une immense extrapolation que de conclure qu’il s’agit de l’Arche de Noé », affirme Jodi Magness. Il faudrait, en effet, que l’existence historique du navire biblique soit plausible.

Une hypothèse qui prend l’eau

« Aucun archéologue certifié ne cherche l’Arche de Noé. L’archéologie n’est pas une chasse au trésor », s’agace Jodi Magness pour qui ce mythe n’a aucun « ancrage historique ».

La scientifique rappelle que les premiers textes de l’Ancien Testament, dont fait partie le livre de la Genèse qui contient l’histoire de Noé, « ont été rédigés aux alentours du VIIIe ou IXe siècle avant J.C » et décrivent beaucoup d’événements bien antérieurs à leur écriture.

Plus ces événements sont lointains, « moins ils comportent d’informations historiques dignes de confiance », précise Jodi Magness. Les récits de la Genèse remontent à des temps si immémoriaux qu’ils sont « sans aucun fondement historique », selon l’archéologue.

Même en admettant que Noé ait existé, la chercheuse souligne qu’il n’y a aucun moyen de savoir à quelle époque il aurait vécu. « Les textes hébraïques ne le précisent pas, sauf si l’on choisit de se référer à la chronologie biblique qui établit que le monde a été créé il y a 5 000 ans. »

En résumé, aucune source historique ne permet de prouver que Noé ou que son Arche aient un jour existé et encore moins que le navire se trouve sous les roches de Durupınar. Selon Jodi Magness, « le seul moyen d’être un jour certain [d’avoir découvert] l’Arche […] serait de trouver des vestiges datés accompagnés d’une inscription contemporaine indiquant : “Ceci est l’Arche de Noé” ». Touché-coulé.