Non, la Fondation de la Première Dame ukrainienne ne cache pas un réseau de trafic d’enfants
Autrice : Léocadie Petillot, juriste et journaliste en formation au CFJ
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W
Source : Compte Facebook, le 12 mai 2025
La Fondation de la Première dame ukrainienne est, encore, accusée de cacher un réseau de trafic d’enfants. Une désinformation qui ne se base seulement sur un faux témoignage relayé sur des comptes pro-russe.
Le Pizzagate ukrainien est de retour. La Fondation d’Olena Zelenksa, créée par la Première dame ukrainienne en septembre 2022, est accusée d’enlever des enfants ukrainiens « pour le vendre à des pédophiles britanniques et français ».
Mainte fois démentie par de nombreux médias et organisations de fact checking depuis sa première apparition à l’automne 2023, la désinformation a refait surface sur les réseaux sociaux en mars 2025 (ici ou là) et plus récemment en mai 2025.
Une fausse enquête journalistique
Toutes les publications qui relaient cette information s’appuient sur une « enquête » publiée pour la première fois sur le site NetAfrique avant d’être republiée sur d’autres sites (ici ou là) dont le site The Intel Drop désigné comme pro-Kremlin.
Selon cette « enquête », derrière la fondation de la Première dame ukrainienne se cacherait « une autre réalité ». Pour unique preuve : une vidéo YouTube (aujourd’hui supprimée de la plateforme mais que Les Surligneurs ont pu se procurer) d’un homme masqué se présentant comme un ex-employé de la Fondation. Il explique qu’il aurait lui-même transporté des enfants dans des orphelinats en France, en Allemagne et en Angleterre. L’homme présente des photos des enfants qu’il aurait emmenés dans des « familles d’accueil« , en réalité des clients pédophiles de « l’organisation criminelle » que serait la Fondation Olena Zelenska.
La paternité de cette « enquête » est attribuée au journaliste allemand Robert Schmidt, cofondateur du collectif d’investigation We Report. La vidéo originale de la « confession » du prétendu ex-employé a d’ailleurs été publiée sur une chaîne YouTube sous le nom de Robert Schmidt.
L’information a été démentie par le vrai Robert Schmidt sur son compte LinkedIn, qui n’a d’ailleurs jamais publié le moindre article sur la Fondation, comme le soulignait déjà le site bulgare de fact checking Factcheck.bg en novembre 2023.
Le Pizzagate ukrainien
Le site espagnol Maldita, spécialisé dans la lutte contre la désinformation fait, lui, le lien entre ce narratif inventé et celui utilisé contre Hillary Clinton. « Il s’agit du Pizzagate d’Olena Zelenska, la version ukrainienne de la théorie du complot qui a conduit Edgar Maddison Welch, un Américain de 28 ans, à entrer dans la pizzeria Comet Ping Pong à Washington D.C. le 4 décembre 2016 et à ouvrir le feu », explique l’article en août 2024.
La ressemblance entre les deux théories est frappante : Hillary Clinton, alors candidate à la présidentielle états-unienne, a été accusée d’être impliquée dans un réseau de trafic d’enfants. Le 7 octobre 2016, l’organisation Wikileaks diffuse des mails de son directeur de campagne, John Podesta, dans lesquels le terme de « pizza » est analysé par des internautes comme un code secret pour se référer à des petites filles et la pizzeria Comet Ping Pong comme le « lieu de rendez-vous » des trafics et rencontres pédophiles, comme le rapporte le journal Le Monde. Une théorie du complot qui ne s’est pas arrêté aux réseaux sociaux et s’est soldée par un acte de violence inouïe.
Une campagne de désinformation bien rodée
Comme dans le Pizzagate d’Hillary Clinton, la théorie complotiste contre la Fondation Olena Zelenska est amplifiée par sa diffusion massive sur les réseaux sociaux.
Ici, une campagne de désinformation bien rodée et déjà utilisée à plusieurs reprises contre le président ukrainien et ses proches, depuis le début du conflit avec la Russie. Comme l’explique encore le site espagnol Maldita : c’est un processus en trois étapes.
Tout d’abord, un « ancien employé » témoigne en vidéo. Ensuite, des sites internet se présentant comme des médias qui relaient l’information, notamment en traduisant le contenu pour un impact géographique plus large. Enfin, une reprise sur les réseaux par des comptes de désinformation pro-russe et même par des comptes officiels d’ambassades russes à l’étranger, comme avec la fausse information selon laquelle la Première dame ukrainienne aurait dépensé 1,1 million de dollars chez Cartier avec l’argent de l’aide européenne à l’Ukraine.
De plus, la Fondation Olena Zelenska rend compte de ses activités. Elle est notamment à l’initiative d’études pour évaluer l’état actuel du bien-être des enfants en Ukraine. La dernière date : une étude de mai 2025 en partenariat avec l’institut KSE, rattachée à l’École économique de Kiev, et le soutien financier d’Unicef, qui se penche sur les attentes des adolescents ukrainiens sur leur avenir professionnel.