Non, le Washington Post ne s’est pas excusé d’avoir publié de fausses informations sur les liens entre l’Iran et le Front Polisario
Autrice : Léocadie Petillot, juriste et étudiante en journalisme au CFJ
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste
Source : Compte Facebook, le 23 avril 2025
Le quotidien états-unien a publié une correction après un article établissant des liens entre l’Iran et le Front Polisario, le mouvement pour l’indépendance du Sahara occidental. Le média algérien Algeria Gate la présente comme des excuses officielles alors qu’il s’agit d’un simple droit de réponse.
« Le Washington Post démystifie les mensonges du Maroc et soutient le Front Polisario ». C’est le titre de l’article publié par le média Algeria Gate sur son site internet le 24 avril 2025. En cause ? Une rectification du journal états-unien après un article du 12 avril 2025 qui expose les liens entre l’Iran et le Front Polisario en Syrie, ce groupe militant basé en Algérie qui lutte pour une indépendance du Sahara occidental.
Sur Facebook, le média algérien a assuré que le Washington Post avait exprimé « ses regrets pour les informations erronées et trompeuses publiées dans son article » et qu’il avait tenu à clarifier que « le Front Polisario (…) n’entretient aucune forme de relation avec l’Iran ». La publication est accompagnée d’une photo du journal états-unien du 13 avril.
Alors, le Washington Post a-t-il vraiment présenté des excuses pour la publication d’informations trompeuses sur le Polisario ? Pas du tout.
« Une formalité journalistique »
L’article du Washington Post affirme que des combattants du Front Polisario sont formés par l’Iran en Syrie depuis des années et que des centaines d’entre eux sont aujourd’hui détenus par les nouvelles forces de sécurité syriennes depuis la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre 2024.
Sauf que le journal avait manqué à une obligation journalistique importante, le contradictoire, et n’avait pas demandé une réaction au Front Polisario. Au lendemain de la publication de son article, le Washington Post a donc publié une correction dans son édition papier, également intégrée à la version web de l’article, comme il est possible de le constater.

La correction du Washington Post telle qu’elle apparait sur son site web
Dans l’article corrigé, le quotidien donne la parole au groupe paramilitaire, qui nie tout lien avec l’Iran. « Les combattants du Polisario, fidèles à leur cause séculaire contre l’occupation marocaine, ne sauraient abandonner leur combat pour s’enliser dans des conflits lointains, dénués de tout intérêt pour leur peuple, affirme le mouvement qui réclame son indépendance du Maroc. Une telle insinuation constitue une offense à la dignité et à la résolution d’un peuple qui se bat avec ferveur pour sa liberté. »
Or, la publication d’Algeria Gate attribue cette déclaration au Washington Post, alors qu’elle émane du Front Polisario.
Certains se sont rendu compte de la méprise, comme Lahcen Haddad, universitaire et ancien ministre marocain. Il explique sur son compte X que la correction du journal « reconnaît simplement une omission procédurale » de ne pas avoir sollicité les commentaires du Polisario avant publication. Il ajoute qu’au contraire, « le journal maintient son reportage, qui établit des liens entre l’Iran et ses alliés — y compris des éléments du Polisario — dans des activités déstabilisatrices dans la région. Il ne s’agit pas d’une concession éditoriale, mais d’une formalité journalistique — et l’article reste valide ».
Ce qu‘Algeria Gate présente comme des excuses est donc, en réalité, l’exercice du droit de réponse du mouvement indépendantiste sahraoui à l’enquête du quotidien. Contacté par Les Surligneurs, Algeria Gate n’est pas revenu sur cette interprétation du correctif publié par le Post.
Guerre communicationnelle
La désinformation diffusée par Algeria Gate s’inscrit dans la guerre communicationnelle persistante entre le Maroc et l’Algérie sur la question sahraouie.
Pour preuve, dans son article, le média algérien qualifie Souad Mekhennet, journaliste allemande d’origine marocaine et autrice de l’article du Washington Post, d’être « connue pour ses reportages non professionnels et biaisés », sans en apporter la preuve. Algeria Gate déclare également « soutenir les mouvements de libération et les deux régions arabes qui subissent le colonialisme : la Palestine et le Sahara occidental ».
Depuis les accords de Madrid et la fin de la colonisation espagnole du territoire en 1975, Alger et Rabat s’accusent régulièrement de mener des campagnes de désinformation : la première pour dénoncer l’occupation du territoire par le Maroc et la seconde pour la justifier sa position.