Les vidéos du vol de la fusée de Blue Origin ne sont pas des images de synthèse
Autrice : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste
Source : Compte X, le 16 avril 2025
Des internautes avancent que le dernier vol de la fusée New Shepard, dont faisait partie la chanteuse Katy Perry, n’a pas eu lieu. Les vidéos qui circulent seraient des images de synthèse. Les images sont pourtant bien réelles.
Le premier vol dans l’espace 100% féminin serait-il en réalité un vaste canular ? Le 14 avril 2025, la fusée New Shepard de Blue Origin — la société du milliardaire états-unien Jeff Bezos — est propulsée à 100 km de la Terre dans l’ouest du Texas, pour un vol suborbital de onze minutes. À bord, il y a six femmes, dont la chanteuse états-unienne Katy Perry.
Pas de quoi convaincre tout le monde de célébrer ce moment de girl power, puisque certains internautes affirment que les vidéos du vol sont des images de synthèse. « On a tous compris que les images sont des CGI [pour computer generated imagery, des images de synthèse, ndlr], il n’y a plus de débat là-dessus. Regardez les graphismes », harangue un jeune homme dans une vidéo qui tourne sur les réseaux sociaux.
Les images du vol ont-elles été fabriquées ? La réponse est non.
De nombreuses sources attestent du vol
Les images de la 31e mission de la fusée New Shepard sont disponibles sur le site web et la chaîne YouTube de Blue Origin. Une retransmission de plus de deux heures est disponible : du décollage de la fusée à son atterrissage, en passant par les réactions des cinq voyageuses.
Mais cette vidéo de la société de Jeff Bezos n’est pas la seule à attester de l’événement. D’autres points de vue existent, comme des photographies qui montrent que le vol a bien eu lieu. Il est possible de consulter celles de l’Agence France-Presse (AFP), prises par Justin Hamel, photographe spécialisé dans l’énergie, sur son compte Instagram et sur la plateforme Getty Images.
L’information ainsi que les images qui l’illustrent sont aussi reprises par des médias. Il est possible de consulter un sujet diffusé dans le 23h info du 14 avril 2025 de France Info, mais aussi des articles du journal Le Monde et de Libération, lequel n’oublie pas de rappeler la quantité de CO2 émise lors de ce vol spatial privé.
« La pire arnaque de 2025 »
D’autres internautes vont plus loin en qualifiant le vol de « la pire arnaque de 2025 ». Plusieurs éléments sont avancés par ces derniers pour faire croire qu’il s’agit d’une mascarade.
Lors de l’atterrissage, quelque chose d’« extrêmement bizarre » se serait passé. Sur les images, la porte de la capsule s’ouvre — visiblement de l’intérieur — et une femme se hâte pour dire quelque chose aux passagères, refermer la porte et laisser place à Jeff Bezos pour qu’il puisse ouvrir la porte. Des internautes se demandent ainsi pourquoi le fondateur d’Amazon a fait semblant d’ouvrir la porte alors qu’elle était déjà ouverte.
En réalité, ouvrir la porte de la capsule de l’intérieur n’a rien de surprenant. C’est même une exigence pour la sécurité des passagers. Comme le soulignent nos confrères de TF1, depuis la mission Apollo 1 — au cours de laquelle un incendie s’est déclaré sur la rampe de lancement, piégeant l’équipage dans le module de commande du vaisseau — les capsules doivent s’ouvrir dans les deux sens. Les consignes de la Nasa recommandent que pour « les opérations courantes, les écoutilles et les portes doivent être manœuvrables par un seul membre d’équipage en 60 secondes maximum, des deux côtés de l’écoutille ».
S’il n’y a pas de tradition particulière, l’ouverture de la porte dépend aussi de chaque mission et atterrissage. « Là, c’est une histoire de publicité. Il y a un côté symbolique au fait que ce soit Bezos qui ouvre la porte », affirme aux Surligneurs Jacques Arnould, historien des sciences et chargé de mission au Centre national d’études spatiales (CNES).
Un autre argument avancé, aux relents sexistes, concerne l’une des cinq voyageuses, Lauren Sánchez, présentatrice états-unienne et compagne de Jeff Bezos. Cette dernière, même si elle ne l’a pas confirmé publiquement, aurait possiblement eu recours à de la chirurgie esthétique. Elle aurait donc des implants mammaires, et certains internautes assurent qu’ils auraient dû éclater dans l’espace, avec la brusque variation de pression. Elle est pourtant revenue intacte de son escapade spatiale, ce qui démontrerait que le vol n’a pas vraiment eu lieu. Sauf que cela ne prouve rien : les implants mammaires n’explosent pas dans l’espace.
Pour Jacques Arnould, cet argument est complètement bidon. « La capsule était dans l’atmosphère, en apesanteur [elle a dépassé la ligne de Karman qui délimite, à 100 km d’altitude, la frontière entre la Terre et l’espace, ndlr]. C’est comme si elle avait plongé dans une piscine. Ce sont des situations à peu près semblables. Si vous plongez, la pression augmente, mais les implants ne risquent rien. »
Certaines personnes prétendent aussi que la capsule aurait dû revenir avec des marques de brûlures. Mais à l’atterrissage, la capsule était quasi intacte, sans aucune trace. « Ces capsules de Blue Origin ne vont pas assez vite pour brûler. Dans le cas présent, il y a un frottement, mais qui est similaire à celui auquel est soumis un avion de chasse, et n’est pas assez important au point de brûler la capsule », explique Jacques Arnould.
Les fausses nouvelles, lieu commun de l’ère spatiale
La désinformation dans le domaine spatial existe depuis les débuts de la conquête de l’espace. En 1969, certaines personnes remettent déjà en question les premiers pas de l’Homme sur la Lune, lors de la mission Apollo 11. Elles avancent ainsi différentes théories — notamment que les images ont été tournées dans un studio — qui circulent encore aujourd’hui.
Pour Jacques Arnould, le milieu spatial est propice à ce genre de critiques : « L’espace a une physique particulière, tout ne se passe pas comme sur Terre. On peut être facilement perturbé et manipulé. Il y a aussi un côté obscène, c’est tellement gros et hors du commun que ça peut en déranger certains et c’est plus simple de se dire que tout ça n’existe pas. »
En résumé, tous les arguments avancés ne tiennent pas la route : le onzième vol habité de Blue Origin a bien eu lieu, malheureusement pour la planète. La masse de CO2 émise lors du lancement de la fusée New Shepard est estimée à 93 tonnes, donc 15,5 tonnes par passagers — puisqu’ils sont au nombre de six. Soit sept fois le budget carbone annuel individuel permettant, selon le Giec, de respecter l’objectif du maintien du réchauffement planétaire en dessous de 2 °C, entériné par l’Accord de Paris.