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Crédit : © Rémi Jouan, CC-BY-SA

Non, aucune étude ne prouve que le thé au pissenlit serait plus efficace que la chimiothérapie pour guérir du cancer

Création : 17 avril 2025

Autrice : Maylis Ygrand, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Compte Facebook, le 26 janvier 2025

Selon certains internautes, boire du thé de pissenlit serait plus efficace qu’une chimiothérapie pour combattre un cancer. Ces allégations relèvent de la désinformation médicale et peuvent conduire à des scénarios dramatiques.

Entre 1990 et 2023, le nombre de nouveaux cas de cancers a doublé en France, de 216 130 à 433 136, ont dévoilé les sombres chiffres de l’Institut national du cancer en septembre 2024. Face à des traitements particulièrement invasifs, certains internautes proposent de combattre le cancer avec… une bonne tasse de « thé au pissenlit ». Un remède qui serait « plus efficace que la chimiothérapie », selon une supposée « étude menée par le Département canadien de chimie et de biochimie » et la rémission d’un certain « John Di Carlo ».

Mais ces allégations sont fausses. Interprétant partiellement des études scientifiques, les internautes prônent une dangereuse automédication. Dans cette guerre contre le cancer, certaines batailles se déroulent sur le terrain de l’information.

Une étude in vitro, et non in vivo

À l’origine de cette fake news : la conclusion d’un travail pour le moins imprécise. « Les résultats de cette étude indiquent que les produits naturels, en particulier l’extrait de racine de pissenlit, ont un grand potentiel en tant qu’alternatives non toxiques et efficaces aux modes conventionnels de chimiothérapie disponibles aujourd’hui », conclut une publication scientifique de 2012 publiée dans PLOS One par une équipe de chercheurs d’une université canadienne.

Si cette étude conclut de cette façon-là, il est erroné d’en faire une règle générale pour le traitement contre le cancer. Car, cette publication scientifique n’expose en réalité « aucune donnée d’efficacité in vivo », explique aux Surligneurs Dominique Heymann, praticien hospitalier, professeur à Nantes université et chercheur en oncologie. Concrètement, ces molécules ont donc été testées sur des « cellules cancéreuses en culture », pointe Patrick Melhen, directeur du Centre de recherche en cancérologie de Lyon. Elles n’ont donc pas été testées sur des animaux ou des êtres humains, comme c’est indiqué dans le résumé de l’étude

Or, « des molécules qui sont capables de tuer in vitro des cellules cancéreuses, on en a plein », interpelle Jérôme Kluza, professeur de biologie cellulaire et chercheur à ONCOLille. Mais pour ce qui est de les tuer in vivo, c’est une autre histoire. Ainsi, avant d’être mis sur le marché, un médicament doit suivre un long protocole.

Après avoir été testées in vitro, les molécules le sont ensuite in vivo. « On va prendre des animaux, souvent des souris. On va injecter la molécule chez la souris qui a des cancers, et on va essayer de voir si on la guérit », raconte Patrick Mehlen. Si c’est le cas, « on peut passer à un essai clinique ». Mais attention, rappelle le directeur du Centre de recherche en cancérologie de Lyon « on guérit souvent les souris, moins les humains ».

En effet, ce n’est pas une étape clinique que devra passer avec succès le médicament, avant d’être mis sur le marché, mais trois. Un long parcours sur lequel « il ne faut pas brûler les étapes », prévient Jérôme Kluza.

Une corrélation n’égale pas une causalité

Pour corroborer leurs dires, la plupart des internautes se basent sur un témoignage qui prouverait une dite efficacité du pissenlit sur le cancer. Sauf que ce dernier ne fonctionne pas. En effet, ces derniers affirment qu’un certain « John Di Carlo » aurait guéri du cancer grâce au « thé à la racine de pissenlit ».

Certes, John DiCarlo existe bien, comme le prouve un article de la CBC, publié en 2012. Mais, interroge Patrick Mehlen. « Est-ce que cette personne a effectivement eu une rémission à cause du pissenlit ou du fait qu’elle prenait en même temps un traitement anti-tumorale autre qui ne fonctionnait pas bien avant et qui s’est mis à fonctionner ? ».

« Le problème c’est qu’une seule personne ou même un faisceau d’une dizaine de personnes, ça ne permet pas d’avoir une preuve scientifique », conclut-il.

L’initiatrice de l’essai clinique signale une absence de preuves

Et comme expliqué précédemment : il faut aller au bout du processus. Ainsi, Les Surligneurs se sont intéressés aux essais cliniques existants sur la question. 

Alors que la rumeur d’une efficacité prétendue du pissenlit contre le cancer essaimait déjà les réseaux sociaux, en 2023, l’AFP s’était penché dessus. Nos confrères avaient ainsi trouvé la phase 1 d’un essai clinique sur la question — une étape qui est généralement proposée pour les personnes « atteintes d’un cancer avancé qui ne répond plus au traitement ou qui n’ont pas d’autres options thérapeutiques ». Mais comme le commente Dominique Heymann : « il s’agit d’une phase 1 débutée en 2013 incluant 30 patients et depuis aucune publication, aucun résultat. Si les données avaient été significatives et spectaculaires, les résultats auraient été publiés et une phase 2 aurait été mise en place ».

Cet essai clinique a d’ailleurs été mené par Caroline Hamm, la même oncologiste qui aurait prétendument guéri John DiCarlo avec du thé de pissenlit. Sauf que, cette dernière a conscience de l’absence de preuve quant à l’efficacité du pissenlit contre le cancer. Elle regrette la diffusion de ce prétendu remède miracle à travers le monde, comme elle le raconte en 2017 sur CBC : « C’est horrible. Chaque semaine, je reçois des courriels de personnes du monde entier qui veulent arrêter leur traitement habituel et prendre ce médicament à la place, en raison de ces allégations infondées. Ils peuvent mourir s’ils croient cela ».

Une efficacité prouvée de la chimiothérapie

Une revue, publiée en 2023, s’est, quant à elle, intéressée à faire un état des lieux des différents travaux existant sur la question. N’est mentionnée « aucune étude in vivo », résume Dominique Heymann.

Ainsi, « il est possible que le pissenlit contienne des molécules toxiques pouvant tuer des cellules cancéreuses in vitro mais il y a un gap avec une utilisation en chimio et encore plus en infusion… », conclut Vincent Courdavault, enseignant-chercheur qui a notamment travaillé sur les effets de certaines molécules de la pervenche de Madagascar contre le cancer. 

En comparaison, régulièrement discréditée à tort, « la chimiothérapie reste un des traitements les plus efficaces », rappelle Patrick Mehlen.

Cette désinformation médicale peut avoir des conséquences dramatiques. Les différents experts interrogés par Les Surligneurs craignent que des personnes arrêtent de se soigner, en lisant ce genre de fausse information. Comme le rappelle Vincent Courdavault : « la prise d’infusion ne remplacera en rien des traitements validés et administrés par un oncologue ».