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Le squelette d'un loup géant, ou loup sinistre (Aenocyon dirus), exposé au Page Museum de Los Angeles - Jonathan Chen / CC BY-SA 4.0

Non, les loups éteints de Game of Thrones ne sont pas revenus à la vie

Création : 16 avril 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Compte Facebook, le 8 avril 2025

Une entreprise états-unienne prétend avoir ressuscité le loup géant, une espèce éteinte depuis plus de 10 000 ans. En réalité, l’expérience a donné naissance à des loups gris légèrement modifiés pour correspondre à des caractéristiques physiques de leurs (très) vieux cousins.

Le coup de com’ est réussi. Le 7 avril 2025, l’entreprise états-unienne Colossal Biosciences a annoncé la « désextinction » du loup géant, ou loup sinistre, une espèce au pelage blanc plus massive que les loups actuels, disparue depuis plus de 10 000 ans. Grâce à des techniques de manipulation du génome, trois spécimens de cette bête mythique — Remus, Romulus et Khaleesi — sont nés ces derniers mois, prétendent leurs concepteurs.

Connu comme le loup blanc

Le grand public connaît bien le loup géant, croisé dans la série de fantasy politique Game of Thrones. Dans le premier épisode, les enfants de la maison Stark, dont sont issus les personnages principaux, se voient chacun attribuer un de ces animaux ancestraux qui symbolisent leur lignée.

A l’instar des meilleurs showrunners, Colossal Biosciences a soigné son effet d’annonce. L’exclusivité du scoop a été donnée au très réputé magazine Time, qui en a fait la couverture de son numéro de mai. Au-dessus de la photo d’un loup au pelage blanc, le mot « éteint » est barré d’un épais trait rouge. « Ceci est Remus. C’est un loup géant. Le premier à voir le jour depuis plus de 10 000 ans. Les espèces en danger pourraient être changées à tout jamais », indique la légende.

Le jour suivant la parution en ligne de l’article du Time, le 8 avril, l’auteur du Trône de fer (Pygmalion, 1998) dont est tirée la série Game of Thrones, George R. R. Martin, annonce sur son blog, photos à l’appui, qu’il a rencontré les loups géants de Colossal Biosciences. Le nom de l’un des loups, Khaleesi, fait même référence au personnage de Daenerys Targaryen, l’une des protagonistes centrales du feuilleton à succès. Il n’en faut pas plus pour enflammer la toile.

Depuis, les publications francophones consacrées à cette actualité ont cumulé des millions de vues et des dizaines de milliers de partages. Mais toutes ne font pas preuve de la prudence scientifique requise. Car loin d’avoir « déséteint » le loup sinistre, Colossal Biosciences a en réalité procédé à une modification sommaire du loup gris.

Seulement 20 modifications génétiques

« Ce n’est pas une désextinction, car seulement une vingtaine de modifications […] ont été effectuées par ingénierie génétique sur le génome du loup gris, en synthétisant des fragments de génomes à partir des fragments de gènes séquencés sur des subfossiles du loup sinistre. Or, il existe des millions de différences génétiques entre lui et le loup gris », explique aux Surligneurs Lionel Cavin, conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Genève et coauteur de Faire revivre des espèces disparues ? (Favre, 2022).

Concrètement, comme l’explique l’article du Time, Colossal Biosciences a d’abord modifié quelques données sur le génome du loup gris. Le but : insérer dans le matériel génétique les caractéristiques phénotypiques du loup géant (plus grand, plus musclé, des dents et une mâchoire plus larges…), dérivées de l’analyse de fossiles datant de 13 000 et 72 000 ans. Puis, les embryons, développés grâce à une technique similaire au clonage de la brebis Dolly en 1996, ont été insérés dans une chienne mère porteuse jusqu’au terme de la grossesse.

Résultat : « Dans cette expérience, on est énormément plus proche du loup gris que du loup sinistre », note Lionel Cavin. Il n’est pas le seul spécialiste à se montrer sceptique face aux annonces de Colossal Biosciences. « Je ne pense pas que ce sont des loups géants. Nous avons quelque chose de nouveau : un loup principalement gris qui ressemble à un loup géant », abonde, dans les colonnes d’ABC News, la paléontologue spécialiste des loups Julie Meachen.

Une distinction de taille

La distinction est importante, car le loup gris n’est pas un héritier naturel du loup géant. En 2021, Julie Meachen a copublié dans la revue Nature un article retraçant l’ascendance phylogénétique du superprédateur. « Les résultats de cette étude montrent que [le loup géant] est en fait assez éloigné du loup gris, décrypte Lionel Cavin.. Les deux espèces se seraient séparées il y a près de six millions d’années […]. En raison de cette différence, on considère que l’espèce disparue appartient à un genre différent de celui du loup gris (Aenocyon et non pas Canis). Il semblerait que [le loup géant] soit évolutivement plus proche du chacal que du loup. »

Parmi les auteurs de cette étude figure… Beth Shapiro, la scientifique en chef de Colossal Biosciences. L’entreprise n’a toutefois pas publié d’article scientifique validé par la communauté à la suite de son annonce. Et malgré les critiques qui ont vu le jour, elle insiste sur le terme de « désextinction » pour qualifier la naissance des loups gris modifiés génétiquement. Contactée par les Surligneurs, Colossal Biosciences n’a pas donné suite à nos sollicitations.

« Les espèces sont issues d’un système de classification fait par l’humain, donc tout le monde peut ne pas être d’accord et avoir raison, s’est justifiée Beth Shapiro au New Scientist. On peut utiliser le critère phylogénétique pour déterminer les espèces, mais nous [Colossal Biosciences, ndlr] utilisons le concept d’espèces morphologiques [qui classe les espèces en fonction de leur apparence]. »

Lionel Canvin reconnaît que « les espèces ne sont pas des entités stables et immuables, elles varient dans le temps et l’espace, et il y a toujours une part de subjectivité pour les définir ». Mais pour lui, les modifications sont encore trop peu significatives : « Si cette méthode permet un jour de modifier une proportion importante des gènes qui diffèrent entre les deux espèces, alors on pourra définir arbitrairement que le loup sinistre est déséteint. »