Peut-on inscrire la laïcité dans la Constitution, comme le propose le Grand Maître du Grand Orient de France ?
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Site Internet de Marianne, le 11 avril 2025
Le Grand Orient de France plaide pour constitutionnaliser les deux premiers articles de la loi de 1905 sur la laïcité. Une démarche en partie redondante : la laïcité est déjà protégée par la Constitution. Mais la question du financement des cultes en Alsace-Moselle, visée par l’article 2, relance un vieux débat sur l’uniformité républicaine.
Dans un contexte de multiplication des atteintes à la laïcité et notamment des actes antisémites, Nicolas Pénin, le Grand Maître du Grand Orient de France, a lancé une pétition pour “inscrire dans la Constitution les articles 1 et 2 de la loi de 1905”. L’idée est alors de conférer “au principe de laïcité rattaché à la liberté de conscience la valeur constitutionnelle qui lui manque”. Une initiative en partie inutile, car la laïcité a déjà une valeur constitutionnelle.
La laïcité dans la Constitution depuis 1946
La proposition de la loge maçonnique fait écho à celle de Xavier Bertrand, en 2020, que nous avions surlignée. Le président de la région Hauts-de-France voulait ajouter à la devise française “Liberté, Égalité, Fraternité” le principe de laïcité.
Dans les deux cas, la réponse est la même. On trouve dans la Constitution, depuis 1958 dans l’article 2 puis à partir de 1995 à l’article 1er, que “la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances”. On peut même remonter plus tôt puisque l’article 1er de la Constitution de 1946, celle de la IVe République, proclamait également que “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale”.
De plus, “la liberté de conscience”, prévue à l’article 1er de la loi de 1905, a été rattachée à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen par le Conseil constitutionnel en 1977, ce qui lui donne une valeur constitutionnelle. Que Nicolas Pénin soit rassuré, la laïcité est bien protégée par la Constitution, et ce, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Vers l’arrêt total du financement des cultes en France ?
L’intérêt de cette proposition vient surtout du fait qu’en rendant l’article 2 de la loi de 1905 constitutionnel, elle pourrait obliger l’Alsace-Moselle à renoncer à son statut spécial en matière de financement des religions. De fait, depuis le 1er janvier 1906, il n’existe plus aucun budget de l’État pour financer les cultes. Seule exception : celle du Concordat en Alsace-Moselle. Ce territoire faisant partie de l’Empire allemand à cette époque, la loi de 1905 ne s’y applique pas et l’exception a demeuré après son retour en 1919. L’État continue donc de financer certains cultes alsaciens et mosellans.
Une question se posera alors. Si cette interdiction de subvention des cultes est intégrée à la Constitution, est-ce qu’elle concernera l’Alsace-Moselle, mettant fin à l’exception concordataire ? Le Conseil constitutionnel avait déjà indiqué en 2013 qu’à la lecture de leurs travaux préparatoires, l’esprit des Constitutions de 1946 et de 1958 de déclarer la République laïque ne remettait pas en cause le droit applicable dans certains territoires.
La proposition du Grand Orient de France a-t-elle vocation à mettre fin à ce Concordat pour uniformiser le droit sur tout le territoire ? Contacté par Les Surligneurs, Philippe Roblin, Grand Maître adjoint du Grand Orient, confirme : “la fin du Concordat et le retour à la normalité est l’horizon, comme conséquence logique de cette constitutionnalisation”. La loge maçonnique ne veut pas se limiter à l’Alsace-Moselle, mais aussi mettre fin au cas de la Guyane, où les prêtres catholiques sont rémunérés par la collectivité. Un vaste projet.