Crédit : Tesla Owners Club Belgium (CC BY 2.0 - Photo modifiée)

Non, l’Union européenne n’est pas responsable de l’annulation de l’élection présidentielle en Roumanie

Création : 20 janvier 2025

Auteur : Hugo Guguen, juriste

Relectrice : Lili Pillot, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Post Facebook, le 11 janvier 2025

Contrairement aux déclarations d’Elon Musk et de certains internautes, l’Union européenne n’a pas annulé les élections en Roumanie. Dans la vidéo de Thierry Breton qui circule, l’ancien commissaire européen présentait, maladroitement, le Digital Services Act, qui encadre les plateformes en ligne, mais qui ne permet en aucun cas d’annuler des élections.

« Tyran de l’Europe ». C’est par ce sobriquet qu’Elon Musk a qualifié Thierry Breton, ancien commissaire européen chargé du marché intérieur et des services. 

Le patron de Tesla et de X est convaincu que l’Union européenne serait responsable de l’annulation des élections présidentielles en Roumanie… et ce serait Thierry Breton lui-même qui aurait vendu la mèche ! 

« Thierry Breton voulait faire le malin. Mais il a officialisé ce qu’est vraiment l’Union Européenne : un échelon supranational qui confisque le pouvoir et la souveraineté des peuples de façon arbitraire », peut-on lire sur Facebook de la part d’un internaute qui semble partager l’avis d’Elon Musk

Selon ces dires, l’ancien commissaire européen aurait confirmé que c’est l’Union européenne, et non la Cour constitutionnelle roumaine en décision unanime, qui serait derrière la décision du 6 décembre 2024, d’annuler le premier tour des élections présidentielles. Un choix qualifié de « coup d’État » par le candidat d’extrême droite roumain Călin Georgescu, alors en tête du premier tour. Ils en veulent pour preuve un extrait vidéo on l’on voit Thierry Breton déclarer : « Faisons appliquer nos lois en Europe, lorsque celles-ci risquent d’être circonvenues, on l’a fait en Roumanie, il faudra évidemment le faire en Allemagne si c’est nécessaire. »

D’abord partagé par Myriam Palomba, chroniqueuse sur TPMP, puis par Elon Musk sur X, ce passage se propage comme une trainée de poudre. Si cette vidéo est bien réelle, les propos attribués à l’ancien commissaire européen sont trompeurs.

Formulation maladroite et prise hors contexte

Extraite de l’émission Apolline Matin, sur les plateaux de RMC, le 9 janvier, l’intervention de Thierry Breton concernait en l’occurrence le Règlement européen sur les services numériques, plus communément intitulé « Digital Services Act » (DSA). 

L’ancien commissaire européen était interrogé sur « ce bras de fer délirant » entre Elon Musk et l’Union européenne depuis les attaques verbales du milliardaire. Entre autres : son éloge de l’AFD, parti d’extrême droite allemand, sa réclamation d’une démission de Keir Starmer, premier ministre anglais, ou son invitation à envahir le Royaume-Uni

« Au fond, [Elon Musk] a le droit de s’exprimer. En revanche, s’il le fait sur les réseaux sociaux qui sont régulés en Europe, alors là l’Europe a son mot à dire », répond Thierry Breton après avoir mentionné le DSA.  

Au cours de l’entretien, les élections roumaines sont brièvement évoquées. L’ancien commissaire européen, en parlant de l’application du DSA au réseau social TikTok, prononce une phrase peu claire prêtant à confusion. « Cela a été fait […] sur TikTok, ce réseau chinois dont on a eu des suspicions qu’il avait été utilisé, manipulé, pour interférer dans les élections en Roumanie. C’est allé, précisément parce qu’on applique cette loi, jusqu’à l’invalidation des élections. » 

Après une brève mention des élections fédérales allemandes de février 2025, Thierry Breton conclut finalement, au regard du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, qu’il faut faire appliquer les lois de l’Union européenne afin d’éviter toute interférence étrangère : « Pour l’instant, gardons notre sang-froid et faisons appliquer nos lois en Europe lorsque celles-ci risquent d’être circonvenues, et qu’elles peuvent, si on ne les applique pas, conduire effectivement à des interférences. On l’a fait en Roumanie, il faudra évidemment le faire en Allemagne si c’est nécessaire. » 

Cette séquence, liant l’application du DSA sur TikTok à l’annulation des élections roumaines, induit effectivement en erreur. Car, contrairement à ce qui est dit par Thierry Breton, le règlement européen n’a pas contribué à l’annulation des élections.

Ce sont les autorités roumaines qui ont décidé d’annuler les élections en Roumanie en raison de soupçons d’ingérence, rappelle Valère Ndior, professeur de droit public et chercheur en droit du numérique à l’université de Bretagne occidentale, et non pas l’Union européenne. « Ce n’est pas la Commission européenne, mais la Cour constitutionnelle roumaine qui a décidé d’annuler les élections au regard des enquêtes menées par les services de renseignement roumains. Il n’y pas de raison de penser que la Commission est derrière cette annulation »

Le DSA a seulement permis à la Commission européenne d’ouvrir une enquête contre le réseau social chinois, le 17 décembre 2024, soit onze jours après l’annulation des élections roumaines par les autorités du pays. Et ce sur la base d’un manquement à ses obligations en tant que plateforme numérique visée par le DSA. « La seule chose qui est vraie, c’est que la Commission, dans la continuité des enquêtes menées par les services roumains, a demandé à TikTok des informations et de conserver les données liées à la campagne électorale afin de voir s’il y a bien eu une instrumentalisation. C’est une chose de constater que la Commission européenne a demandé à TikTok de conserver des informations, mais c’en est une autre que d’affirmer qu’elle aurait pu, en s’appuyant sur le DSA, annuler des élections. Il y a un monde de différence », conclut le professeur de droit.

Deux jours plus tard, après qu’Elon Musk se soit emparé du sujet, Thierry Breton a, lui-même, tenu à souligner le contexte de la séquence. « L’Union européenne ne dispose pas d’un mécanisme pour annuler une élection, où que ce soit dans l’Union européenne. Ce n’est pas du tout ce qui est dit dans la vidéo, qui porte uniquement sur l’application du DSA et des obligations de modération. Mauvaise traduction… ou énième fake news ? », cingle Thierry Breton dans un post sur X

Le DSA, un règlement pour encadrer Internet, pas annuler des élections

Loin de pouvoir annuler des élections, le DSA entend protéger les citoyens des États membres de l’Union européenne de certains abus liés aux plateformes internet, comme l’expliquaient déjà Les Surligneurs.

Le DSA a en effet pour objectif de responsabiliser les acteurs du web, dont les plateformes en ligne  proposant leurs services sur le marché européen. « Le règlement sur les services numériques est un règlement qui fait peser une variété d’obligations aux grandes plateformes numériques, notamment en matière de modération de contenu, de transparence et de mise en œuvre de mécanismes de voies de recours », confirme Valère Ndior. 

Par conséquent, le DSA ne permet pas d’annuler une élection présidentielle, son champ d’application matériel se limitant aux plateformes numériques. « Certaines de ces obligations sont liées à l’objectif de protection des processus démocratiques, notamment des élections, mais, en l’occurrence, le DSA ne permet pas d’annuler une élection », précise ainsi le professeur en droit aux Surligneurs.  

Des propos confirmés par la Commission européenne interrogée par nos confrères de Libération. « Il appartient aux autorités roumaines de prendre les décisions sur le processus électoral. Les élections sont une compétence nationale et la Commission [européenne, ndlr] ne s’occupe pas du processus électoral roumain, qui est l’affaire des autorités roumaines », assure un porte-parole de l’institution européenne à CheckNews.  

 

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