Les Urssaf n’ont-elles vraiment aucune légitimité juridique ?
Auteur : Nicolas Turcev, journaliste
Relecteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, journaliste stagiaire
Source : Publication Facebook, le 9 février 2025
Les organismes régionaux de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale n’auraient « aucune existence juridique » selon des internautes. Si elles disposent d’un statut spécifique, les Urssaf n’en demeurent pas moins bien réelles et légalement compétentes pour exercer leur mission devant les tribunaux.
Un internaute tient le scoop de l’année : les Urssaf n’existeraient pas. Comprendre : elles n’auraient pas de légitimité « juridique » à effectuer leur mission de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale. Soulagement pour la bourse des salariés et entrepreneurs, catastrophe nucléaire pour le modèle social français ?
En réalité, il n’en est rien. La vidéo relayant cette fausse information et reprise par plusieurs comptes se fonde sur un article du Parisien datant de… 1998. Son autrice, Emmanuelle Maurel, longtemps chroniqueuse judiciaire pour le quotidien et décédée l’an dernier, y rend compte d’une décision du tribunal des affaires sociales (TASS) de Versailles, une juridiction supprimée par la loi de 2016 sur la modernisation de la justice du XXIe siècle.
Le litige oppose l’Urssaf de Paris à un horloger des Yvelines, auquel est réclamé la somme de 6 000 francs, monnaie d’ailleurs abandonnée en 2002 par la France. D’après l’article du Parisien, après avoir réclamé des documents justifiant de l’existence légale de l’Urssaf de Paris, le tribunal a « estimé […] que cet organisme a produit des statuts qui sont aujourd’hui périmés et n’ont pas été remis à jour », et que lesdits documents « ne sont pas complets ». Ce qui a poussé le tribunal à refuser à l’Urssaf de la capitale le droit de poursuivre le commerçant.
Outre le fait que l’affaire, jugée en première instance, soit circonscrite à la branche parisienne de l’Urssaf et n’emporte pas de conséquences pour les autres organismes locaux, ce « simple jugement de TASS [est] sans grande portée juridique », indique aux Surligneurs Thierry Tauran, enseignant-chercheur en droit social à l’université de Lorraine et membre du Comité d’histoire de la Sécurité sociale. « Les Urssaf ont bien une existence juridique, puisque prévue par le Code de la Sécurité sociale. »
Pas de malentendu pour la Cour de cassation
L’argument selon lequel l’Urssaf n’aurait pas de qualité pour agir en cas de recouvrement de cotisations dues à l’organisme a été présenté plusieurs fois devant la Cour de cassation — qui l’a systématiquement rejeté. « Instituées par l’article L. 213-1 du Code de la Sécurité sociale [les Urssaf] tiennent de ce texte de nature législative leur capacité juridique et leur qualité pour agir dans l’exécution des missions qui leur ont été confiées par la loi », dont fait partie le recouvrement des cotisations sociales, a statué en 2001 la chambre sociale de la Cour de cassation.
Contacté, le bureau national de l’Urssaf rappelle le caractère « obligatoire » de l’affiliation à la sécurité sociale et insiste sur la jurisprudence constante qui confirme la compétence de l’Urssaf. L’institution cite comme autre exemple une décision du Conseil d’État du 25 novembre dernier « à l’occasion d’un litige dans lequel le cotisant contestait la légalité de l’arrêté du 7 août 2012 portant création de l’Urssaf d’Île-de-France ».
Si cela ne suffisait pas à établir l’existence légale des Urssaf et leur compétence pour exercer leurs missions, force est de constater que les tribunaux condamnent régulièrement des prévenus dans des contentieux initiés après un signalement par les organismes de recouvrement, lesquels se constituent généralement parties civiles. Par exemple, à la Rochelle le 6 février, à Évreux le 9 janvier, ou encore à Lyon en octobre dernier. Aucune trace, dans ces nombreuses affaires, d’une quelconque remise en cause de l’action des Urssaf.
Article mis à jour le 12/02/205 : ajout de la réponse de l’Urssaf