Le juge de l’application des peines existe-t-il seulement en France et en Italie, comme l’affirme Bruno Retailleau ?
Auteurs : Solène Gallut, maître de conférences de droit pénal à l’université de Lorraine
Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine
Relectrice : Maylis Ygrand, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Source : Compte X de Bruno Retailleau, le 23 novembre 2025
Bruno Retailleau a affirmé sur X que le juge de l’application des peines n’existe qu’en France et en Italie, accusant en filigrane un supposé laxisme du système judiciaire. C’est faux, de nombreux systèmes judiciaires en Europe ont prévu l’existence de ce type de juge ou une équivalence.
Le juge de l’application des peines est-il une anomalie dans le paysage judiciaire ? À en croire un post X de Bruno Retailleau, président des Républicains, publié le 23 novembre dernier : « Seules la France et l’Italie ont un juge d’application des peines ». Et ce dernier serait, selon l’ancien ministre de l’Intérieur, à l’origine d’une « aberration ».
Fin novembre, plusieurs médias rapportent qu’un détenu présenté comme « l’un des plus dangereux de France » a bénéficié d’une permission de sortir. Bruno Retailleau dénonce alors un scandale : selon le président des Républicains, « la priorité absolue de la justice pénale doit être la protection des Français, pas le bien-être des narcotrafiquants ». Le responsable de ce supposé laxisme serait, à ses yeux, le juge de l’application des peines (JAP).
Quelques jours plus tard, sur le plateau de CNews, le député d’Ensemble pour la République, Gabriel Attal, rempile. L’ancien Premier ministre propose purement et simplement de supprimer le JAP.
Mais, contrairement à ce qu’affirme Bruno Retailleau, la France et l’Italie ne sont pas les seuls pays à disposer d’un juge chargé de contrôler l’exécution de la peine. Loin d’être une figure marginale, l’intervention d’une autorité judiciaire à ce stade de la procédure est, au contraire, plutôt répandue en Europe.
Un juge présent dans d’autres pays européens
Il suffisait de regarder de l’autre côté de la frontière pour s’en apercevoir. Que ce soit en Belgique, en Espagne, au Portugal ou encore en Pologne, il existe un juge qui intervient dans le cadre de l’exécution de la peine et/ou un tribunal qui dispose d’une compétence, parfois partagée, pour statuer sur des aménagements de peine (libération conditionnelle, réductions de peine ou dispositifs de surveillance électronique, etc.).
Cependant, leurs compétences diffèrent parfois. Ainsi, pour ce qui concerne les permissions de sortir — qui visent à maintenir les liens familiaux ou à préparer la réinsertion des personnes condamnées —, en Espagne, au Portugal et en Pologne, elles sont généralement octroyées par un magistrat.
En revanche, en Belgique les permissions de sortir ne relèvent pas du pouvoir de l’autorité judiciaire, mais du pouvoir exécutif, car cette compétence est dévolue au ministre de la Justice ou à son délégué. Cette particularité s’explique par la répartition des compétences entre, d’un côté, les juges qui statuent sur les aménagements qui modifient de manière substantielle la peine — c’est-à-dire qui opèrent un changement de nature ou de durée —, et, de l’autre, l’exécutif qui se prononce lorsque l’aménagement n’apporte pas de modification fondamentale à la situation de l’intéressé.
Sur ce point, depuis 2019, la France a un système assez proche : la première permission de sortie est octroyée par le juge de l’application des peines et les suivantes le sont par le directeur de l’établissement pénitentiaire.
D’autres pays, comme l’Allemagne, ont adopté un système hybride mêlant à la fois compétence judiciaire et compétence administrative. Si l’autorité judiciaire contrôle l’exécution de la peine et statue en matière de libération conditionnelle, c’est bien le directeur de l’établissement pénitentiaire qui adopte les mesures d’aménagement de la peine. Et, en cas de refus, la personne détenue peut exercer un recours devant la cour pénitentiaire, qui est une formation de la cour d’appel « Strafvollstreckungskammer ».
Quant aux pays de common law, tels que l’Irlande ou le Royaume-Uni, il n’existe pas de JAP mais des commissions de libération conditionnelle. Le « Parole Board » au Royaume-Uni est une autorité administrative composée de professionnels du milieu carcéral qui décide d’accorder ou non la libération conditionnelle.
Sans impact sur les aménagements de peine
La France et l’Italie n’apparaissent donc pas comme une exception, mais plutôt comme une des formes les plus abouties de contrôle de l’exécution de la peine, avec une juridictionnalisation complète permettant un appel des ordonnances et des jugements rendus en première instance par le juge de l’application des peines.
Peut-on alors supprimer le juge de l’application des peines ? Sans doute : on ne trouve pas d’obstacle, dans la Constitution, à ce qu’une autorité autre que le JAP soit en charge des aménagements de peine.
Mais, d’une part, une suppression irait à contresens total de la logique suivie par le législateur, quel que soit le bord politique, qui a consisté à confier tous les aménagements de peine aux juridictions de l’application des peines. Il y aurait un retour en arrière remarquable.
D’autre part, supprimer le juge de l’application des peines ne signifie pas supprimer les aménagements de peine. En effet, ceux-ci sont le fruit d’une exigence constitutionnelle : le principe d’individualisation des peines oblige à prévoir des mécanismes permettant, sous certaines conditions, un aménagement de la privation de liberté.
Enfin, le juge de l’application des peines a un rôle qui va au-delà de la seule peine privative de liberté : il est également compétent pour un ensemble de mesures relevant du « milieu ouvert » : travail d’intérêt général, sursis probatoire, surveillance des condamnés ayant bénéficié d’une libération conditionnelle… Si on le supprime, qui pour le remplacer ?
