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Un employé passe devant deux plaques d’acier chaud, le 21 mars 2013, à l’usine sidérurgique ArcelorMittal à Grande-Synthe. (Photo : Philippe Huguen / AFP)

ArcelorMittal vient-il d’être nationalisé, comme l’affirme Jean-Luc Mélenchon ?

Création : 3 décembre 2025
Dernière modification : 4 décembre 2025

Autrice : Maylis Ygrand, journaliste

Relecteurs : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’université de Poitiers

Nicolas Turcev, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte X de Jean-Luc Mélenchon, le 27 novembre 2025

Certains internautes, dont Jean-Luc Mélenchon, affirment qu’ArcelorMittal a été nationalisé. Mais si la proposition de loi visant cet objectif a bien été adoptée à l’Assemblée nationale, il reste plusieurs étapes à franchir pour qu’elle entre en vigueur.

Historique oui, mais loin d’être définitif. Le 27 novembre 2025, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi visant à la nationalisation du géant de l’acier ArcelorMittal France.

La manche était pourtant loin d’être gagnée. Ce jour-là, le temps presse pour les Insoumis. Grâce à leur niche parlementaire, ils peuvent dicter l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Mais cette fenêtre de tir dure moins de vingt-quatre heures.

Parmi leurs priorités : faire adopter la proposition de loi portée par la députée insoumise Aurélie Trouvé. En nationalisant l’entreprise sidérurgique, cette dernière souhaite relancer la décarbonation des hauts-fourneaux et répondre au plan social annoncé par ArcelorMittal en avril dernier. Plus de 600 emplois sont menacés.

Grâce au soutien de toute la gauche, le texte est adopté, avec 127 voix pour et 41 contre. Ni une, ni deux, Jean-Luc Mélenchon poste sur X : « ArcelorMittal est nationalisé ! ».

Les mots du leader insoumis font mouche et sont rapidement repris sur les réseaux sociaux. « Bravo aux députés insoumis. Grâce à eux, Arcelor est nationalisé », félicite une internaute.

Mais si la proposition de loi a franchi une étape importante, sa potentielle promulgation, et donc son application, est encore lointaine, voire incertaine. Explications.

La nécessité d’une lecture au Sénat

Une adoption en première lecture de l’Assemblée nationale ne peut conduire directement à une promulgation. Pour entrer en vigueur, une loi doit être adoptée par les deux chambres parlementaires, dans les mêmes termes. Ainsi, conformément à l’article 45 de la Constitution, la proposition de loi des Insoumis doit désormais être examinée au Sénat.

Cependant, ce ne sera pas une mince affaire. D’abord, la chambre haute est hostile à une nationalisation d’ArcelorMittal. En octobre dernier, le Sénat, situé majoritairement à droite, avait rejeté une proposition de loi du groupe communiste visant à nationaliser des actifs stratégiques du géant de l’acier. Un mauvais signe pour celle transmise par l’Assemblée nationale.

De plus, pour être rejeté, encore faut-il que le texte soit examiné et donc mis à l’ordre du jour. En vertu de l’article 48 de la Constitution, celui-ci est déterminé soit par le Sénat, soit par le gouvernement. Il faut donc que l’un ou l’autre s’empare du sujet pour qu’il soit examiné.

Or, le gouvernement est aussi opposé que les sénateurs à une prise de contrôle d’ArcelorMittal, comme il l’a fait savoir lors des débats à l’Assemblée nationale. Le ministre de l’Économie, Roland Lescure, a dénoncé, sur le réseau social Bluesky, une mesure « populiste » contre laquelle le gouvernement continuera de s’opposer « dans la suite du processus législatif ».

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les députés RN se sont abstenus lors du vote au Palais Bourbon. En amont du scrutin, Jean-Philippe Tanguy prévenait que « s’il était voté, ce texte symbolique irait dans les oubliettes du Sénat. Ni plus ni moins ».

Un appel à inscrire la loi à l’ordre du jour

Mais pour Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, le gouvernement ne saurait tourner le dos au vote du 27 novembre : « J’avais cru comprendre, après la nomination de Monsieur Lecornu [au poste de Premier ministre, ndlr], que désormais il n’y avait plus de 49.3 et que c’était l’Assemblée nationale qui allait écrire la loi », a fait valoir le responsable sur le plateau de Dimanche en politique, le 30 novembre dernier. Il a donc appelé le gouvernement à présenter le texte au Sénat.

Même son de cloche du côté de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, qui s’en remet, elle, directement aux sénateurs : « Nous appelons les sénateurs à inscrire à l’ordre du jour, au plus vite, cette proposition de loi pour que la nationalisation aille à son terme », a-t-elle déclaré, vendredi 28 novembre à l’AFP.

Autre option encore possible : les niches parlementaires. Tout comme le groupe insoumis a utilisé la sienne pour faire adopter la loi de nationalisation, certains groupes de gauche au Sénat pourraient utiliser la leur.

Mais tout comme le gouvernement — s’il décidait de mettre à l’ordre du jour la proposition de loi —, les sénateurs devront, pour ce faire, attendre que s’écoule le délai légal constitutionnel, prévu à l’article 42 de la Constitution. Ce dernier prévoit en effet que l’examen d’un texte « ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu’à l’expiration d’un délai de quatre semaines à compter de sa transmission ».

D’après le calendrier de la chambre haute, la prochaine niche à même d’accueillir le texte serait donc celle du Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le mercredi 7 janvier.

La navette parlementaire

Si jamais le texte est finalement examiné par les sénateurs, quels scénarios seraient possibles en vertu de l’article 45 de la Constitution ? L’un, le moins probable, serait une adoption de la proposition de loi dans les mêmes termes que celle votée au Palais Bourbon. L’autre serait le rejet ou l’adoption d’un texte différent.

Mais cela ne signifie pas que la partie est terminée. La loi reviendrait à l’Assemblée, puis au Sénat, pour une seconde lecture, à moins que le gouvernement accélère le processus et convoque une commission mixte paritaire (CMP) chargée de trouver un texte de compromis. Autrement, si les deux chambres ne tombent toujours pas d’accord après les secondes lectures, les présidents des deux assemblées « agissant conjointement » peuvent convoquer une CMP.

À la suite de la CMP, si un désaccord subsiste entre le Sénat et l’Assemblée nationale, le gouvernement peut laisser le dernier mot au Palais Bourbon. Les députés ont donc besoin du Sénat ou du gouvernement pour mener à terme cette proposition. L’Assemblée nationale ne peut pas, à elle seule, nationaliser ArcelorMittal.

Le secteur de l’acier en tension

Mais la rapporteure du texte, Aurélie Trouvé, ne décourage pas. La députée pronostique que « plus ça ira, plus on verra comme une évidence politique qu’il faut nationaliser ArcelorMittal », « l’unique solution » pour sauver la filière de l’acier, selon La France insoumise.

Entre une transition écologique coûteuse, un marché inondé par l’acier chinois, des coûts d’énergie élevés et une baisse de la demande, la situation de l’industrie de l’acier en Europe ne cesse en effet de se dégrader. Les conséquences : un secteur en danger avec à la clé des plans sociaux en masse et une souveraineté industrielle à la peine.

Cependant, pour le gouvernement, la réponse est à Bruxelles avec le plan acier de la Commission européenne. Ce dernier consisterait à doubler les droits de douane sur les importations d’acier et à diviser par deux les quotas qui peuvent être importés sans droit de douane.

Côté industrie, ArcelorMittal juge ces mesures encourageantes, mais insuffisantes. L’entreprise souhaite également une révision du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

En attendant le vote au Parlement européen, ce 3 décembre 2025, ArcelorMittal a présenté ce mardi de nouvelles lignes de production à Mardyck. Signe, selon l’entreprise sidérurgique, qu’elle ne se désengage pas de la France.

[Correctif effectué le 4 décembre 2025 : l’article indiquait initialement que le texte issu de la CMP devait être approuvé par le gouvernement. Cependant, le Parlement peut passer outre cet accord. Le paragraphe en question a donc été corrigé.]

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