Non, le traité de Lisbonne n’est pas « nul et non avenu » à cause d’un « vice de procédure »
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’université de Poitiers
Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’université de Poitiers
Source : “Bercoff sur le vif”, 4 novembre 2025
La France aurait-elle saboté l’architecture de l’Union européenne sans le savoir ? C’est ce qu’affirme Francis Lalanne, assurant que la ratification du traité de Lisbonne serait nulle car votée par des sénateurs français au mandat expiré. Une lecture erronée du droit, qui ignore les reports électoraux prévus par la loi.
Est-ce la fin de la participation de la France à l’Union européenne ? Une nouvelle théorie affirme que la ratification par le Parlement français du Traité de Lisbonne de 2008, qui a institué l’UE, n’a aucune valeur juridique, car elle souffre d’un vice de procédure.
Le porteur de cette théorie n’est autre que Francis Lalanne, chanteur et figure depuis quelques années des mouvances anti vaccin et eurosceptiques. Au micro d’André Bercoff, le chanteur explique qu’au moment du vote, un tiers des sénateurs n’avaient « pas de mandat », et donc ne pouvaient pas voter. Et d’en conclure : « Le vice de procédure, dans toutes les juridictions françaises, donne raison à celui qui le fait valoir », rendant le traité « nul et non avenu ».
S’il est vrai que le mandat de certains sénateurs était dépassé, la validité de la ratification du Traité trouve son explication en droit.
Une réforme de l’élection des sénateurs
Avant 2003, les sénateurs étaient élus pour un mandat de neuf ans. Le Sénat n’était pas intégralement renouvelé à chaque élection, comme l’Assemblée nationale, mais par tiers. Ainsi, tous les trois ans, un tiers des sénateurs étaient renouvelés.
Depuis 2003, le mandat d’un sénateur est de six ans, le Sénat est renouvelé par moitié tous les trois ans. Mais cette nouvelle organisation n’entre en vigueur qu’en 2010.
Entre deux est donc intervenue la ratification du traité de Lisbonne. Les sénateurs, tout comme les députés, ont eu à voter pour cette ratification au nom de la France.
À ce sujet, Francis Lalanne assure qu’« un tiers des sénateurs a été élu en septembre 1998, leur mandat a donc pris en fin en 2007″. Alors comment se fait-il que ce même tiers de sénateurs ait pu voter la ratification en février 2008 ?
Un décalage dans les dates des élections
Les sénateurs du tiers A, élus en 1998 pour 9 ans, devaient effectivement être renouvelés en septembre 2007. Mais, compte tenu de la forte activité électorale de l’année 2007, à savoir des élections présidentielle, législatives, cantonales, municipales et sénatoriales, le tout sur une période de six mois, un report de certaines élections a été décidé.
Une première loi du 15 décembre 2005 a prolongé d’un an le mandat des conseillers municipaux et généraux, pour que leur renouvellement intervienne en 2008.
Une deuxième loi, adoptée le même jour, a aussi prévu que les renouvellements du Sénat prévus en 2007, en 2010 et en 2013 étaient décalés d’un an. Les sénateurs normalement renouvelés en septembre 2007 l’ont donc été en septembre 2008.
Au moment de la ratification par le Sénat du Traité de Lisbonne en février 2008, un tiers des sénateurs étaient donc, de fait, dans sa « dixième année » de mandat.
Mais tout ceci a été possible grâce à une loi adoptée par le Parlement, c’est-à-dire les représentants de la nation, élus démocratiquement. Le Conseil constitutionnel a également déclaré ce report conforme à la Constitution pour une raison simple : les sénateurs sont élus par les élus locaux.
Si ces derniers voient leur mandat prolongé, le Conseil des Sages a estimé qu’il fallait éviter que les sénateurs soient élus « par un collège en majeure partie composé d’élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal ».
Résultat : les sénateurs concernés étaient toujours en fonction en 2008, et la ratification du traité de Lisbonne est donc parfaitement valide.
Juridiquement, toute la procédure de ratification était valide, il n’y a donc aucun vice de procédure qui ferait s’effondrer l’Union européenne.
