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Crédit : Maxime Viancin (CC BY-SA 4.0 - Photo modifiée)

Peut-on réquisitionner les biens de ceux qui « fuient l’impôt » comme l’affirme Antoine Léaument ?

Création : 3 février 2025

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, université de Poitiers

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte X d'Antoine Léaument, le 29 janvier 2025

Alors que Bernard Arnault a laissé entendre qu’il réfléchissait à délocaliser le groupe LVMH, le 28 janvier dernier, Antoine Léaument a affirmé que l’État avait un pouvoir de réquisition. Mais si ce dernier existe, il n’est applicable que dans certains cas.

Suite aux sous-entendus de Bernard Arnault quant à une potentielle délocalisation de LVMH, Antoine Léaument s’est fendu sur X, le 29 janvier dernier, d’un post juridiquement intenable. « Si Bernard Arnault veut partir aux USA, qu’il parte. L’État a un pouvoir de réquisition. Réquisition des biens de ceux qui trahissent leur pays et fuient l’impôt. Force à la loi, à bas les traîtres. On peut faire du made in France sans milliardaires, pas sans travailleurs », écrit le député LFI.

Le pouvoir de réquisition existe dans plusieurs codes français, mais pas pour taxer ou confisquer les biens des riches qui fuient la France. La réquisition existe à l’égard de personnes ou d’entreprises privées, par exemple dans le Code de la défense, afin d’alimenter l’effort de guerre. Le Code de la sécurité intérieure permet des réquisitions pour assurer la continuité de certains services publics, notamment les secours.

Enfin, mais la liste n’est pas exhaustive, le Code général des collectivités territoriales permet aussi des réquisitions par le préfet lorsque l’ordre public est menacé.

Comme Les Surligneurs l’ont montré à l’occasion de grèves de camionneurs ou de raffineurs, ces réquisitions sont très encadrées et le juge en contrôle la nécessité.

Confusions entre réquisition et taxation voire confiscation

En réalité, l’élu insoumis semble vouloir taxer les personnes qui fuient le pays en les obligeant à verser au fisc les biens acquis sur le territoire national, voire confisquer ces biens. Las, aucun texte en France ne le permet actuellement. Il faudrait modifier la législation fiscale dans ce sens, tout en faisant attention à ce que le  Conseil constitutionnel ne censure pas. En effet, un impôt qui prélèverait une trop grande partie de la richesse pourrait être considéré comme « confiscatoire ».

Selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) en effet, chacun contribue aux dépenses d’administration selon ses facultés (article 13). Par conséquent, sauf à modifier cet article ou à réduire sa portée au moyen d’une disposition spécifique introduite dans la Constitution (en quelque sorte une exception constitutionnelle à un principe lui-même constitutionnel), la proposition du député LFI est juridiquement intenable.

Le droit de propriété au centre du débat

La réquisition sans indemnisation serait en l’état du droit une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété. Or, la propriété figure en très bonne place dans la DDHC, au point qu’elle est considérée comme un droit « inviolable et sacré » (article 17). Ainsi s’il est possible juridiquement de modifier la Déclaration ou d’en réduire la portée, c’est un mur qui paraît infranchissable politiquement.

La question dépasse alors le cadre juridique. Du point de vue d’une partie de la gauche, toutes ces réquisitions prônées seraient, sinon légales, en tout cas légitimes.