Élèves voilées à l’Assemblée nationale : légal ou illégal ?
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte X de Yaël Braun-Pivet, 5 novembre 2025
La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, juge « inacceptable » la présence de lycéennes voilées dans les tribunes, au nom de la cohérence républicaine et de la neutralité du lieu. Sauf que le droit de cette même République, lui, ne dit rien de tel.
Polémique au Palais-Bourbon. Mercredi 5 novembre 2025, en pleine séance budgétaire, le député du Rassemblement national Julien Odoul publie sur X une photo des tribunes : on y distingue plusieurs jeunes filles portant le voile. Dans la foulée, il s’indigne :
« Quelle infâme provocation ! Comment peut-on tolérer que des petites filles recouvertes du voile islamique soient présentes dans les tribunes de l’Assemblée nationale, temple de la République française ? Une réaction Yaël Braun-Pivet sur la promotion du voilement des enfants ? », dénonce le député RN.
La présidente de l’Assemblée ne tarde pas à répondre, jugeant cette situation « inacceptable ». Elle invoque alors la loi de 2004 sur la laïcité à l’école, qu’elle estime bafouée, au nom de la « cohérence républicaine » et de la « neutralité du lieu ».
Pourtant, en droit, rien n’interdit à ces jeunes femmes de porter un signe religieux.
Neutralité dans un bâtiment public ?
Le principe de neutralité s’impose aux agents publics, pas aux usagers. Autrement dit, les personnes qui assistent aux débats depuis les tribunes ne sont pas tenues à la neutralité religieuse, contrairement aux agents du service, comme les huissiers de l’Assemblée.
Les députés sont aussi concernés par cette règle de neutralité, mais uniquement au sein de l’hémicycle, depuis 2018. Auparavant, les parlementaires pouvaient porter des vêtements et signes religieux.
C’est ainsi que l’Abbé Pierre siégeait en soutane, le député Philippe Grenier en burnous, ou plus récemment Meyer Habib avec une kippa. Ce temps semble donc révolu, mais pas pour le public.
Et la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école ?
D’un autre côté, le port ostentatoire de signes religieux peut être limité, y compris pour les usagers du service public, par la loi. C’est le cas depuis une loi de 2004 dans les écoles, collèges et lycées.
Mais il n’existe pas une telle interdiction dans les autres services et bâtiments publics, pourvu que le port d’un signe religieux, même ostentatoire (voile, kippa, croix) ne trouble pas le bon fonctionnement du service.
Or, la présidente de l’Assemblée nationale semble s’appuyer sur la loi de 2004 qui interdit les manifestations ostentatoires d’appartenance à une religion, surtout par le biais de signes et de vêtements, au sein des établissements scolaires publics.
Il est important de préciser que cette interdiction s’étend aux sorties scolaires, puisqu’il s’agit bien d’un prolongement de l’activité éducative. Mais Marc Fesneau, député Modem qui a invité ce groupe à visiter le Palais-Bourbon, a indiqué qu’il s’agissait bien d’élèves issus « de deux établissements scolaires privés ». Cela exclut donc l’application de la loi de 2004.
Que dit le règlement de l’Assemblée nationale ?
En l’occurrence, l’article 8 de l’Instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale donne pour seule consigne que « le public (dans les tribunes, ndlr) doit porter une tenue correcte. Il se tient assis, découvert et en silence ». Aucune mention de signes religieux ostentatoires.
Le doute persiste cependant quant au terme « découvert », qui signifie absence de couvre-chef comme les chapeaux, casquettes, bonnets, etc. Qu’en est-il alors des vêtements religieux qui se portent sur la tête, comme les kippas ou les voiles ?
Lors d’une polémique similaire, en novembre 2009, le président de l’Assemblée nationale de l’époque, Bernard Accoyer (UMP), avait affirmé que « cette prescription, vieille de plus d’un siècle, ne saurait être opposée au port du foulard » et qu’elle ne concernait que le « couvre-chef » des hommes.
À ce jour, rien ne contredit cette interprétation, d’autant qu’il serait choquant, du point de vue de la liberté religieuse qui est constitutionnelle, de considérer le voile ou la kippa comme de simples couvre-chefs qu’on devrait retirer en entrant dans un édifice, voire soulever élégamment pour saluer une personne.
Ces attributs religieux sont bien plus que des couvre-chefs au regard des libertés fondamentales. Si rien en droit ne protège le droit de porter un chapeau en toutes circonstances, c’est bien moins vrai des signes religieux.
En l’état du droit, rien à signaler donc, les élèves en question, issus d’une école privée, avaient le droit d’assister aux débats parlementaires en portant un voile. Ironie du sort : ceux qui brandissent la République pour défendre sa neutralité semblent avoir oublié ce que dit le droit de cette même République. À l’Assemblée, on légifère sur les lois… encore faut-il les connaître.
