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Affaire Pierre Gentillet : un enseignant à l’Université peut-il être sanctionné pour ses prises de positions ?

Photo : Guillaume SOUVANT / AFP
Création : 7 novembre 2025

Auteur : Paul Morris, greffier au Tribunal de Paris, enseignant à l’Université de Picardie Jules Verne

Relecteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Pierre Gentillet, avocat et intervenant à la Sorbonne, est visé par des étudiants qui dénoncent ses opinions politiques. Ancien candidat du RN, il cristallise le débat entre liberté d’expression et devoir de neutralité à l’université.

À la Sorbonne, un enseignant fait polémique. Pierre Gentillet, avocat et intervenant devant les étudiants depuis plusieurs années, est au cœur d’une controverse qui interroge la liberté d’expression à l’université et en dehors de l’université. Fin octobre 2025, plusieurs étudiants ont exigé « qu’il dégage de la Sorbonne”, estimant que ses opinions politiques sont incompatibles avec son rôle d’enseignant. 

Pourquoi ? Parce que Pierre Gentillet a été candidat pour le Rassemblement national à l’occasion des élections législatives de 2024, et a cofondé le syndicat étudiant d’extrême-droite La Cocarde étudiante. Il est par ailleurs régulièrement invité en qualité de chroniqueur sur CNews.

Mais ses convictions politiques peuvent-elles juridiquement justifier qu’il soit écarté en tant qu’enseignant ? Le droit encadre précisément la frontière entre liberté d’opinion et d’expression, et devoir de neutralité dans l’enseignement supérieur.

Liberté d’expression et neutralité

La liberté académique, consacrée par l’article L. 952-2 du code de l’éducation, assure aux enseignants-chercheurs une indépendance totale dans leurs activités d’enseignement et de recherche. Elle constitue un pilier de l’enseignement universitaire : nul ne peut dicter à un enseignant le contenu de ses cours ni censurer ses opinions, dès lors que ses propos restent dans le cadre de sa mission et ne constituent pas une infraction pénale.

Les activités et opinions exprimées par Pierre Gentillet hors de l’université ne peuvent être remises en cause dès lors qu’elles n’influent pas sur ses enseignements et ne le conduisent pas à dépasser le cadre permis par la liberté académique. 

Aucun texte ne permet de sanctionner un enseignant-chercheur pour ses opinions exprimées par ailleurs, dès lors qu’elles ne compromettent ni le contenu scientifique de ses enseignements ni le bon ordre du service public.

Or, c’est la neutralité de Pierre Gentillet dans ses enseignements qui était remise en question, notamment par le mouvement d’extrême-gauche Révolution Permanente selon lequel « Pierre Gentillet dispense en toute tranquillité des cours de droit privé, de droit des sociétés et de droit constitutionnel […]. Un état de fait qui interroge au regard de ses activités politiques et qui met en lumière l’hypocrisie de la présidence de l’université, qui condamne publiquement les discriminations mais ne voit pas de problème à compter dans ses rangs un ancien membre d’un groupuscule épinglé plusieurs fois pour antisémitisme ». 

Au passage, il est factuellement douteux, au regard de l’organisation des enseignements en droit, qu’un intervenant extérieur puisse enseigner à la fois du droit privé, du droit des sociétés et du droit constitutionnel… mais c’est un autre débat. 

La nécessité d’une faute dans l’exercice des fonctions

Pour autant, la liberté académique n’est pas absolue. Elle est subordonnée à une exigence de neutralité, d’impartialité et de dignité comme le rappelle l’article L121-2 du code général de la fonction publique. Pierre Gentillet n’est certes pas fonctionnaire puisqu’il est avocat, intervenant comme enseignant vacataire, mais il n’en reste pas moins soumis à l’obligation de neutralité en tant qu’il participe à l’exécution du service public. 

Il n’est donc pas censé distiller ses opinions politiques dans le cadre de ses enseignements, au détriment de ceux-ci. Si un enseignant peut émettre des opinions face à des étudiants pour susciter le débat, il ne doit jamais se départir d’une honnêteté intellectuelle consistant à préciser qu’il s’agit de son opinion et qu’il la soumet à débat. 

L’application de cette exigence de neutralité au sein des enseignements a été rappelée à cette occasion par de nombreux enseignants chercheurs, dont le professeur Paul Cassia, enseignant au sein de la même université, qui a rappelé que « les enseignements à l’université doivent respecter le principe de neutralité et les valeurs de la République. Rien n’indique que [Pierre Gentillet] aurait manqué à sa neutralité à la Sorbonne ».

L’Université Paris I a d’ailleurs rappelé par un communiqué qu’aucune faute disciplinaire n’était constatée dans le cadre des enseignements, et que par conséquent que rien ne justifiait la suspension de l’intéressé.

Par ce communiqué, l’université de la Sorbonne rappelle la règle en la matière : pour exclure un enseignant, il faut une violation de son exigence de neutralité au cours de ses enseignements. Ainsi, enseignant chercheur ou vacataire, nul ne saurait être inquiété à l’université par des propos tenus en dehors de celle-ci.

Sauf si ces opinions, par leur caractère pénalement répréhensible ou par la manière dont elles sont exprimées même en dehors de l’université, portent atteinte à la sérénité des enseignements dans l’université et donc au fonctionnement du service public.

 

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