Jordan Bardella a-t-il vraiment été victime d’une injustice au Parlement européen ?
Dernière modification : 4 février 2025
Autrice : Émilie Mellah, master droit de l’Union européenne à l’Université de Lille
Relecteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Facebook, le 24 janvier 2025
Moqué sur les réseaux sociaux après son intervention au Parlement européen en invoquant un mauvais article du règlement, Jordan Bardella a dénoncé une injustice et une forme de censure visant son groupe politique. Mais est-ce aussi simple ?
Épinglé ! Le 23 janvier 2025, le président du rassemblement National, Jordan Bardella, a provoqué les moqueries après une intervention au Parlement européen le 23 janvier dernier.
L’eurodéputé souhaite faire un rappel au règlement intérieur de l’institution de Strasbourg pour réagir à des propos récents de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, tenus à Davos. Il cite alors l’article 133 du règlement.
Mais la présidente de séance, également vice-présidente du Parlement européen, Sabine Verheyen, a interrompu l’intervention, considérant que le recours à cet article n’est pas valide dans ce contexte. L’eurodéputé, quelque peu décontenancé, tente de poursuivre malgré les rappels de son homologue.
Forme de censure ?
Après cette intervention au Parlement européen, Jordan Bardella et le RN n’ont pas tardé à réagir, pour dénoncer un « grave incident ». Le président du Rassemblement National a également publié, sur son compte X, une lettre ouverte à Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, pour exprimer son mécontentement.
« Alors que la gauche a pu librement s’exprimer sur la situation à Gaza, sur le fondement d’un banal rappel au règlement, une eurodéputée allemande proche d’Ursula von der Leyen qui présidait la séance m’a empêché, ainsi qu’un collègue du groupe ECR Fidanza Carlo, d’évoquer les dérives de la Commission européenne en censurant nos prises de parole », dénonce-t-il.
Pour dénoncer ce deux poids, deux mesures, Jordan Bardella s’appuie sur un rappel au règlement évoqué la veille, l’eurodéputé portugais du groupe de la Gauche au Parlement européen João Oliveira.
Alors qu’en est-il ? Jordan Bardella a-t-il été victime d’une présidente de séance zélée ? Regardons en détail.
Une règle claire, mais mal utilisée
Pour le savoir, il est essentiel de se pencher sur le contenu même de l’article 133. Que dit l’article ? Il permet aux députés de demander à la Commission européenne des explications ou précisions sur des décisions ou des déclarations prises durant ses réunions institutionnelles.
« Le Président du Parlement invite le Président de la Commission, le commissaire responsable des relations avec le Parlement […] à faire une déclaration devant le Parlement après chacune des réunions de la Commission, pour exposer les principales décisions prises […]. La déclaration est suivie d’un débat d’une durée minimale de trente minutes, au cours duquel les députés peuvent poser des questions brèves et précises« , peut-on lire précisément.
Ainsi, l’article 133 du règlement intérieur ne s’applique pas ici. Jordan Bardella utilise cet article pour obtenir des explications sur les propos d’Ursula von der Leyen tenus à Davos et donc en dehors des institutions européennes.
Par ailleurs, l’article 196 du règlement intérieur du Parlement précise que toute demande de parole pour un rappel au règlement doit porter sur un point de l’ordre du jour en discussion, ce qui n’était pas le cas. En d’autres termes, il ne s’agit pas de censure, mais d’une application stricte du règlement.
Une différence de traitement ?
Qu’en est-il concernant la supposée « différence de traitement » entre Jordan Bardella et l’eurodéputé portugais João Oliveira ? Selon le président du Rassemblement national, ce dernier aurait pu utiliser l’article 133 pour critiquer la politique du président israélien, Benjamin Netanyahu, en Cisjordanie, la veille de l’intervention de Jordan Bardella. Dans ce cas, les propos seraient également tenus à l’extérieur des institutions et donc l’utilisation de l’article 133 devrait être rejetée.
Problème, l’eurodéputé de gauche n’a pas invoqué l’article 133 lors de son intervention. En effet, selon le compte rendu de la séance, João Oliveira s’est appuyé sur l’article 123, qui permet lors d’une session de proposer une résolution condamnant une violation des droits de l’homme.
En définitive, Jordan Bardella n’a pas été victime de censure, mais son intervention a été interrompue, car elle ne respectait pas le cadre précis de l’article 133. Quant à la prétendue différence de traitement, elle repose à minima sur une incompréhension des faits, au pire, elle relève de la pure désinformation.