Mercosur : le vote des députés français est-il décisif pour rejeter l’accord, comme l’affirme Clémence Guetté ?
Auteur : Hugo Guguen, juriste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Lili Pillot, journaliste
Source : Compte X, le 19 novembre 2024
Le vote non contraignant des députés français du 26 novembre n’empêchera pas l’adoption de l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Ce vote exprime simplement le désaccord de la France dans un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne.
Les députés français vont-ils parvenir à bloquer l’adoption du traité européen avec le Mercosur ? Dans un post sur la plateforme X, la députée LFI Clémence Guetté déclare fièrement avoir décroché une victoire contre l’adoption du traité UE-Mercosur. “C’est une grande avancée. Le gouvernement avait jusque-là refusé, il cède face à la pression du monde agricole. Nous ferons rejeter pour de bon cet accord qui prépare l’enfer du marché à nos agriculteurs”, écrit-elle.
Le Premier ministre, Michel Barnier, a, en effet, annoncé qu’un débat suivi d’un vote sur le traité de libre-échange entre l’UE et des pays du Mercosur se tiendrait à l’Assemblée nationale, le 26 novembre 2024. Cette “victoire”, partagée et saluée par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, est cependant plus proche d’un écran de fumée que d’un vote décisif sur l’adoption du Mercosur.
Dans un premier temps, le débat risque fort de ne trouver aucune opposition puisque, fait rarissime en France, la très grande majorité de la classe politique dénonce unanimement le projet, et ce à gauche comme à droite, à l’Élysée comme au sein du gouvernement.
À titre d’illustration, près de 600 parlementaires français ont écrit à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le 12 novembre, pour lui demander d’abandonner les négociations. Michel Barnier s’est quant à lui rendu à Bruxelles le lendemain pour tenter de convaincre que la cause française devait être entendue.
Pourtant, raison pour laquelle ce vote n’aura que peu d’incidence, la finalisation de l’accord n’est actuellement pas entre les mains du Parlement français, mais des institutions européennes.
Ce vote français, uniquement symbolique, sert à faire pression sur Bruxelles en comptant le nombre de députés “pour” et le nombre “contre” en France. Nous sommes donc loin d’un vote décisif pour rejeter l’adoption du traité à l’échelle européenne, comme semble le présenter la députée LFI.
Pire encore, la France à elle seule n’est pas capable de contrecarrer le traité. Son adoption relève en effet de la compétence exclusive de l’Union européenne.
Un semblant d’action de députés impuissants
Dans l’optique d’éviter une paralysie totale avec ses nombreux États membres qui refusent l’adoption de certains traités, l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive dans certains domaines. C’est le cas en matière d’accords commerciaux. En la matière, les États membres ne peuvent pas agir en dehors de ce que décident les institutions de l’Union, puisque ce sont principalement elles qui réglementent l’organisation du commerce à l’intérieur du territoire européen.
Comme nous l’avons souligné, dans le but d’assurer une politique commune européenne entre les commerces extérieure et intérieure, l’Union est exclusivement compétente en matière d’accords commerciaux. Juridiquement, l’article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) confie à l’UE cette compétence exclusive pour fixer les droits de douane et l’article 4 lui donne compétence en matière de marché intérieur.
Or, le traité avec le Mercosur est un traité commercial qui fixe les droits de douane entre l’UE et les États concernés d’Amérique latine et qui prévoit aussi certains aspects commerciaux, comme la protection de certaines indications géographiques protégées européennes. Il relève donc de la compétence exclusive de l’Union européenne.
En définitive, le vote à l’Assemblée nationale du 26 novembre ne sera probablement qu’un coup d’épée dans l’eau de la part des députés français. “Le jeu, il n’est plus franchement au niveau français, il se passe à Bruxelles”, avait ainsi reconnu Pol Devillers, vice-président des Jeunes Agriculteurs, sur BFMTV.
La seule possibilité pour la France de faire rejeter ce texte n’est pas de faire voter ses députés, mais plutôt d’obtenir une minorité de blocage lors du vote de ratification au Conseil européen. Cependant, la France est isolée dans son refus catégorique de l’accord de libre-échange.
Un dernier vote à Bruxelles et non au Palais Bourbon
Afin de pouvoir négocier un tel accord avec le Mercosur, la Commission européenne a besoin d’un mandat du Conseil de l’Union européenne, précise le docteur en droit européen et enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye Vincent Couronne. Au sein de ce Conseil siègent les 27 ministres des États membres, dont la France.
L’article 218 du TFUE précise en effet qu’en cas d’accord de la Commission européenne avec le Mercosur, il revient à nouveau au Conseil de se prononcer pour cette fois, autoriser la signature de l’accord, voire autoriser une application provisoire avant l’entrée en vigueur de l’accord.
La France dispose ainsi d’une ultime tentative pour rejeter l’accord de libre échange et à travers un vote au sein de ce Conseil de l’Union européenne et non à l’aide d’un vote au sein de son Assemblée nationale.
Étant donné que les questions commerciales ne sont pas soumises à la règle de l’unanimité, mais à une “majorité qualifiée” (au moins 15 États représentant eux-mêmes 65 % de la population européenne), il faudrait que la France réunisse une minorité de blocage afin d’empêcher l’adoption du texte par l’Union européenne.
Or, la France reste à ce jour minoritaire, et ne réussit pas à rallier suffisamment d’États membres afin de franchir ce seuil de blocage.
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