Les petits villages de la Somme sont-ils interdits de construire des maisons, comme l’affirme Jean-Philippe Tanguy ?
Auteur : Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public à l’université de Picardie Jules Verne
Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Le Grand Jury de RTL, le 3 novembre 2024
Selon le député RN, Jean-Philippe Tanguy, la loi sur la zéro artificialisation nette empêche les petits villages de la Somme de construire des maisons. En réalité, cette loi ne prohibe pas la construction de logements, mais encadre l’extension des surfaces artificialisées, privilégiant les aménagements sur des terrains déjà urbanisés.
Dans Le Grand Jury de RTL du 3 novembre 2024, le député RN Jean-Philippe Tanguy fait référence à l’objectif dit “zéro artificialisation nette” (ZAN) qui interdirait, selon lui, de construire des maisons dans les villages : “Dans la Somme, on interdit aux petits villages de construire des maisons”, s’indigne le parlementaire. “Par contre, il y a des centaines d’éoliennes qui vont être construites. Une éolienne, c’est beaucoup plus de bétonisation et d’artificialisation d’un sol qu’une maison individuelle. Les éoliennes ne sont pas comptées dans cette loi [climat et résilience, ndlr]. De la même façon, si on couvre un sol de panneaux solaires, ce n’est pas compté dans cette loi.”
Le dispositif ZAN, issu de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 (article 191), prévoit en effet l’interdiction de l’artificialisation (la « bétonisation ») des sols en 2050, avec un objectif d’étape en 2030 et une division par deux des espaces artificialisés mesurés entre 2011 et 2020.
Or, ce dispositif n’interdit aucunement la construction de maisons individuelles. D’abord, il ne sera pleinement en vigueur qu’en 2050. Ensuite et surtout, ce dispositif prévoit l’interdiction de l’artificialisation de nouvelles surfaces, et non la construction en elle-même.
Il est ainsi possible de construire sur des surfaces déjà artificialisées, par exemple les centres-bourgs délabrés et désertés qui pourraient être réaménagés. Il permet aussi de désartificialiser des surfaces pour en artificialiser de nouvelles. Il n’y a donc aucune interdiction de construire des maisons individuelles dès lors que ces constructions n’entraînent pas d’artificialisation supplémentaire des sols.
Il est en revanche possible que d’autres principes du droit de l’urbanisme (et non du droit de l’environnement) interdisent de telles constructions. C’est notamment le cas du principe de « constructibilité limitée », issu de l’article L. 111-3 du Code de l’urbanisme, qui interdit la construction en dehors des zones déjà urbanisées des communes en l’absence de plan local d’urbanisme ou de document d’urbanisme en tenant lieu.
Or, c’est la commune qui élabore en principe le plan local d’urbanisme. Dans un tel cas, cette absence de possibilité de construire est imputable… à la commune elle-même !
Les éoliennes exclues du “ZAN”
Jean-Philippe Tanguy continue ainsi son argumentaire contre le dispositif ZAN : “Une éolienne, c’est beaucoup plus de bétonisation et d’artificialisation d’un sol qu’une maison individuelle. Les éoliennes ne sont pas comptées dans cette loi [climat et résilience, ndrl]. De la même façon, si on couvre un sol de panneaux solaires, ce n’est pas compté dans cette loi.”
Il est bien exact d’affirmer que les éoliennes et les panneaux solaires sont exclus du dispositif ZAN. Cette exclusion ne ressort pas explicitement de la loi qui a créé le ZAN, mais des différents textes d’application.
Précisément, comme l’explique le ministère de la Transition écologique sur son site : “Les éoliennes en raison de leur faible emprise au sol ne sont pas considérées comme créant ou étendant un espace urbanisé et ne constituent donc pas par elles-mêmes de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers” (p. 16).
Cela peut se discuter, et c’est bien ce que fait le député RN. Mais on rappelle qu’il aurait été difficile d’intégrer les éoliennes dans le champ d’application du ZAN en raison des objectifs que la France doit tenir en termes de verdissement de ses sources d’énergie renouvelable (directive européenne de 2018).
Concernant les panneaux photovoltaïques, l’article 194 de la loi de 2021, dans son III, dispose qu’ “un espace naturel ou agricole occupé par une installation de production d’énergie photovoltaïque n’est pas comptabilisé dans la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers dès lors que les modalités de cette installation permettent qu’elle n’affecte pas durablement les fonctions écologiques du sol, en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques ainsi que son potentiel agronomique et, le cas échéant, que l’installation n’est pas incompatible avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale sur le terrain sur lequel elle est implantée”.
En d’autres termes, selon le législateur, ces installations ne conduisent pas à « bétonner » les sols et permettent les activités qui devraient normalement se dérouler sur ces territoires, ce qui explique que la loi ne les concerne pas.
Là encore, Jean-Philippe Tanguy est en droit de contester cette dérogation et de voter pour sa suppression. Mais il faudra alors qu’il explique comment, en supprimant les éoliennes et les panneaux photovoltaïques, il entend respecter les objectifs imposés par la directive de 2018. À moins qu’il n’entende pas les respecter.
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