Les jours d’absence dans la fonction publique ont-ils augmenté de 80 % en 10 ans comme l’affirme Guillaume Kasbarian ?

Création : 8 novembre 2024

Autrice : Jeanne Boyer, étudiante en journalisme à l’école W

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

Source : X, le 27 octobre 2024

Selon le ministre de la Fonction publique, l’absentéisme pour raisons de santé a bondi de 80 % dans la fonction publique en dix ans. Ce chiffre, bien que véridique, doit être nuancé en prenant notamment en compte l’impact de l’épidémie de Covid-19.

Tous absents ? Depuis quelques jours, la question de l’absentéisme dans la fonction publique enflamme les débats. Alors que le gouvernement cherche à faire des économies dans le projet de loi de Finances 2025, les fonctionnaires sont visés pour leurs prétendues absences répétées au travail :   “En 10 ans, le nombre de jours d’absence a augmenté de 80% dans la fonction publique”, a dénoncé Guillaume Kasbarian, le ministre de la Fonction publique, sur son compte X, le 27 octobre. 

Cette hausse est l’un des arguments avancés par le gouvernement pour justifier le durcissement du régime d’arrêt maladie du public et faire d’importantes économies. 

Ce chiffre n’est pas faux, quoiqu’un peu gonflé. Selon un rapport conjoint de l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), paru en juillet 2024, entre 2014 et 2022 l’absentéisme pour raison de santé au sein de la fonction publique, est passé de 8,3 jours par personne et par an à 14,5 jours.

En prenant notre calculatrice, on tombe sur une augmentation de 75% en huit ans. Nos confrères de Libération sont aussi tombés sur ce résultat. Un chiffre assez proche donc du pourcentage avancé par le ministre.

Sauf que cette simple statistique masque un contexte beaucoup plus complexe. 

Un avant et après pandémie

Cette hausse ne tient pas compte d’un contexte particulièrement exceptionnel entre 2019 et 2022 : la pandémie de Covid-19. 

Entre 2014 et 2019, selon le rapport de l’IGF et l’IGAS, l’absentéisme pour raison de santé dans la fonction publique était stable : il est passé de 8,3 jours à 8,9 jours (+7%). Il était à peu près équivalent au niveau d’absentéisme pour raison de santé dans le privé, qui est passé de 8,3 jours à 8,4 jours entre 2014 et 2019 (+1%).

Depuis 2019, l’absentéisme pour raisons de santé a connu un boum, dans le public et dans le privé. Entre 2019 et 2022, on est passé de 8,9 jours à 14,5 jours dans le public (+62%), et de 8,4 à 11,7 jours dans le privé (+39%). Autrement dit en huit ans (2014-2022), 90% de l’augmentation du nombre de jours d’absences pour des raisons de santé dans le public a été observée sur la période 2019-2022. Pour le privé, c’est 97% de l’augmentation qui a été observée sur cette même période.

Le lien entre la hausse de l’absentéisme et la pandémie est mis en avant par le rapport : “il convient de noter l’impact de la crise sanitaire sur la période 2020-2022”. Si pour le privé, le rapport a pu établir que le rôle de la pandémie dans la hausse de l’absentéisme était de l’ordre de deux tiers, il ne quantifie pas celui qu’elle a eu pour le public. Contactée par les Surligneurs afin d’avoir des explications sur cette absence de données, l’IGAS ne nous a pas répondu.

Durant la période Covid, des mesures pour faciliter les délivrances d’arrêts maladie ont été mises en place. Entre le 1er mai et le 31 février 2023, des arrêts dérogatoires étaient délivrés, par exemple pour les personnes faisant l’objet d’une mesure d’isolement (imposée par un test positif et qui a varié durant cette période). Pour ces arrêts liés au Covid, plus de délais de carence et une indemnisation dès le premier jour.

Le rôle de la pandémie dans la hausse de l’absentéisme peut aussi se confirmer par le fait que, selon le rapport, “une baisse (de l’absentéisme, ndlr) est observée en 2023 avec la fin de la crise sanitaire”. Le rapport précise que la baisse n’a pas permis de retrouver les niveaux d’absentéisme d’avant la pandémie. Affaire à suivre.

Mais au-delà de la pandémie, il faut aussi se pencher sur les réalités très différentes qui se cachent derrière ces chiffres.

Pas une, mais des fonctions publiques

La fonction publique est “composée de trois versants” : la fonction publique de l’État (FPE), la fonction publique territoriale (FPT) et la fonction publique hospitalière (FPH).

Et, comme le révèle le rapport dès son introduction, “des différences significatives sont observées entre les trois versants de la fonction publique avec des absences plus marquées dans la fonction publique territoriale et hospitalière et moins importantes dans la fonction publique d’État”. En d’autres termes, avancer une hausse générale de l’absentéisme de près de 80 % dans la fonction publique dans son ensemble est trompeur. 

La preuve en chiffres. En 2022, le nombre de jours d’absence au sein de la fonction publique de l’État hors enseignants (services centraux des ministères, préfectures, etc.) était de 10,2 jours. C’est inférieur au nombre de jours au sein de la fonction publique territoriale (les personnels des collectivités territoriales notamment) qui était de 17,1, et de la fonction publique hospitalière qui était de 18,1, mais également … au nombre de jours d’absence au sein du privé qui était de 11,7 jours ! 

Quant aux enseignants, le nombre de jours d’absence moyens était de 11,7 jours, comme le privé. 

Des différences expliquées par les caractéristiques sociodémographiques

Cette disparité entre le public et le privé, et entre les différentes fonctions publiques, s’observait déjà avant la pandémie. Et, selon les rapporteurs, il y a une explication assez simple.

Les niveaux différenciés des absences des trois versants, entre eux et par rapport au secteur privé, résultent des caractéristiques des agents (âge, sexe, santé) et de leurs emplois (type de contrat, catégorie socio-professionnelle, diplôme)”, écrivent-ils. 

Autrement dit, l’âge moyen étant de trois ans plus élevé au sein du secteur public qu’au sein du secteur privé, il est normal que l’absentéisme pour raisons de santé y soit plus élevé. Autre exemple : la part très importante des professions supérieures au sein de la fonction publique de l’État expliquerait son absentéisme plus faible, selon le rapport.

Selon le rapport, ces caractéristiques “expliquent 95% des écarts de taux d’absence avec le secteur privé pour la FPE et la FPH et 53% pour la FPT”.

Claire Lemercier, directrice de recherche au CNRS, interrogée par Ouest-France, confirme le rôle des facteurs socio-démographiques dans l’absentéisme. “Les titulaires sont plus âgés en fin de carrière dans le public que dans le privé et au sein de la FPT, les agents sont souvent moins diplômés, ils occupent des métiers plus fatigants pour les corps”, explique-t-elle. 

En tout cas, il est clair que Guillaume Kasbarian ne s’est pas fait que des amis au sein de la fonction publique avec ses propos. Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT a appelé à la fin du “fonctionnaire bashing”

 

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