Présidentielle américaine : comment la désinformation tue le débat public aux États-Unis ?
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Après des mois de campagne sous le signe des fausses informations, les citoyens des États-Unis vont enfin voter pour l’élection présidentielle, ce 5 novembre 2024. Et si le résultat s’annonce serré, on connait déjà les grands perdants : les faits.
Alors que tous les yeux sont braqués sur les États-Unis pour le dénouement de cette fin de campagne, une vague de rumeurs et d’allégations non vérifiées remettant en cause l’intégrité du scrutin déferle de nouveau sur les réseaux sociaux.
Si les derniers jours avant l’élection présidentielle américaine sont sujets à la diffusion massive de fausses informations, le reste de la campagne n’a pas été épargné. Les Surligneurs reviennent sur ces fake news qui ont circulé en amont de l’élection.
Attaques personnelles et théories du complot
Entre les candidats républicains et démocrates, pas de pitié : une des tactiques est de saper la réputation de son adversaire avec des attaques ad hominem. Lorsque Joe Biden était encore candidat, son âge et sa sénilité supposée étaient un serpent de mer du discours républicain, quitte à ne montrer que ce qui va dans ce sens. Lors des quatre-vingts ans du débarquement, une vidéo de la cérémonie avait été coupée afin de faire croire que le candidat cherchait une chaise invisible.
Après le 21 juillet 2024, Joe Biden se retire de la course — événement qui a lui aussi été visé par une fausse information affirmant que la signature du président avait été falsifiée (à tort) — et c’est Kamala Harris qui devient la candidate démocrate, et cible des partisans de Donald Trump.
Les attaques à son encontre vont des affirmations sur son origine ethnique (elle ne serait pas noire, c’est faux), sur une stupidité supposée (elle ne saurait pas parler sans téléprompteur, c’est faux), ou encore sur des liens avec des célébrités accusées d’agressions sexuelles comme Jeffrey Epstein et P. Diddy (faux).
Sur ce dernier point, de grossiers photomontages ou de fausses listes de “complices” ont circulé avec comme but : classer la candidate démocrate dans un groupe d’élite de Washington.
Ce discours sur un complot des élites était déjà très identifié auparavant. Il se retrouve largement chez les électeurs qui adhèrent notamment aux thèses QAnon, un mouvement complotiste d’extrême droite présent lors de l’assaut du Capitole en janvier 2021. On a vu réémerger des thèses satanistes ici, mais aussi complotistes avec la négation du 11 septembre.
Il faut dire que les deux tentatives d’assassinats de Donald Trump ont été une mine de désinformation qui a alimenté ces thèses.
Deepfakes et fausses info climatiques
L’intelligence artificielle et l’utilisation de deepfakes ont aussi fait partie de la campagne. On a pu le voir avec cette vidéo d’une accusation d’agression sexuelle contre Tim Walz, le colistier démocrate, qui est fausse.
D’autres événements ont marqué la campagne, comme les ouragans qui ont balayé plusieurs États américains. Cette catastrophe climatique a été l’objet de très nombreuses mauvaises informations : les fonds de soutien aux victimes auraient été détournés par l’administration de Joe Biden pour aider les immigrés clandestins (c’est faux), les ouragans Hélène et Milton auraient été délibérément dirigés vers des États républicains (c’est faux). D’après l’Institute for Strategic Dialogue, ces fake news ont été utilisées par des politiques et des groupes extrémistes pour “répandre une haine antisémite et des complots électoraux”.
Au-delà de théories parfois abracadabrantesques, les candidats et partisans s’attaquent sur leurs programmes respectifs. Les partisans n’hésitent pas à accentuer les positions adverses ou même à inventer des déclarations qu’ils allèguent au camp opposé.
Par exemple, sur le sujet de l’avortement, le camp démocrate a largement forcé le trait sur la position de Donald Trump en affirmant qu’il aurait promis de “forcer chaque femme enceinte à s’enregistrer auprès du gouvernement” (c’est faux, Donald Trump n’est pas favorable à l’avortement, mais a déclaré être contre une loi nationale d’interdiction).
Les candidats et leurs colistiers sont aussi attaqués sur leurs passés et bilans en tant qu’élus, et il faut croire que la vérité est insuffisante, car plusieurs fausses informations se sont frayé un chemin. Tim Walz, candidat démocrate à la vice-présidence, a été accusé d’avoir changé le drapeau du Minnesota pour qu’il corresponde à celui de la Somalie (c’est faux), puis a été visé pour avoir adopté une loi protégeant les pédophiles (c’est faux).
Plusieurs femmes démocrates, comme Hillary Clinton, Kamala Harris et Paula Collins, une candidate de l’État de New York, ont été accusées de vouloir envoyer les Républicains en prison ou dans des camps de rééducation (faux et faux).
Ce thème est revenu plusieurs fois dans la campagne, majoritairement de la part des Républicains qui craignent ou se sentent visés par une censure.
Les Swifties : plus influents que les swing states ?
Au vu de l’influence des personnalités publiques dans le débat aux États-Unis, le positionnement de tel ou tel artiste, sportif ou autre célébrité a été scruté dans les moindres détails.
Ainsi, de fausses images de Taylor Swift appelant à voter Donald Trump créées par une intelligence artificielle avaient circulé et, lorsque la chanteuse pop a appelé à voter Kamala Harris, plusieurs rumeurs ont enflé sur le fait qu’elle aurait perdu des auditeurs (c’est vrai mais cela n’a pas été mis en perspective avec le fait qu’elle ait gagné des abonnés).
Faisant partie intégrante du débat américain, les stars ont elles aussi pu répandre des fake news. L’ancienne sportive de haut niveau, Caitlyn Jenner a, elle, assuré que la Californie donnait 150 000 dollars aux immigrés clandestins pour acheter une maison (c’est faux).
Le média de fact-checking PolitiFact a fait le bilan, et le constat est assez clair : le camp républicain a fait des allégations majoritairement plus fausses que le camp démocrate. D’après PolitiFact, 47 % des affirmations de Kamala Harris analysées par le média étaient “fausses” ou “en grande partie fausses”, alors que, parmi celles de Donald Trump, 76 % étaient “fausses”, “en grande partie fausses” ou “en train de brûler les étapes”.
Où se trouvent les fake news et qui les propagent ?
Si les candidats, et notamment ceux du camp républicain, ne sont pas les derniers à répandre de fausses informations, celles-ci circulent sur les médias traditionnels, mais beaucoup sur les réseaux sociaux. La question de la désinformation sur les réseaux sociaux s’était déjà posée en 2016 avec le scandale Cambridge Analytica et la question de l’ingérence russe.
Pour cette élection 2024, les traces d’une influence russe sont déjà présentes. Le département de Justice des États-Unis a déclaré, en septembre, avoir suspendu 32 domaines internet créés par le gouvernement russe pour propager de la propagande et de la désinformation dans des opérations Doppelganger. Dernièrement, le gouvernement russe a démenti être à l’origine de vidéos mettant en cause l’intégrité du scrutin américain.
Les désinformations ont largement circulé sur X, dont le propriétaire, Elon Musk, joue désormais un rôle majeur dans la propagation de la désinformation, peut-être même plus que les services russes selon Le Monde. Le milliardaire fondateur de SpaceX et Tesla relate parfois lui-même de fausses informations. Début septembre, il n’a pas hésité à relayer, comme Donald Trump dans un débat, la théorie (absolument fausse) selon laquelle les Haïtiens immigrés en Ohio mangeaient les animaux domestiques de leurs voisins et qui a conduit à des discriminations violentes contre cette communauté.
La désinformation a donc des conséquences très palpables. Reste à savoir dans quelle mesure celle-ci a influencé le scrutin.
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