Emploi, retraites, chômages, Michel Barnier peut-il “négocier” avec les partenaires sociaux, comme il le promet ?

Mardi 1er octobre 2024, le Premier ministre Michel Barnier, à côté de la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet (en haut), prononce son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale. (Photo : Alain Jocard / AFP)
Création : 3 octobre 2024
Dernière modification : 8 octobre 2024

Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, université de Nantes

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Dialogue social, négociation collective, conférence sociale, démocratie sociale… Lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, Michel Barnier a fait référence à beaucoup de concepts en une seule intervention. Sur chacune de ces questions, le droit attribue à ces partenaires sociaux des compétences diverses sous le contrôle de la loi.

Dialogue social, négociation collective, conférence sociale, démocratie sociale… Au cours de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre sollicite les partenaires sociaux sous de nombreuses formes et sur des thèmes variés (emploi des seniors, assurance chômage, retraites…).

Or, sur chacune de ces questions, le droit attribue à ces partenaires sociaux des compétences diverses qu’il est nécessaire de préciser.

Qui sont les “partenaires sociaux” ?

L’expression “partenaires sociaux” est peu utilisée par le droit, et notamment celui du travail. Elle désigne dans le langage courant les organisations d’employeurs et de salariés qui sont considérées comme représentatives au regard d’un certain nombre de critères : respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté, influence, et surtout audience.

Pour les employeurs, cette audience se mesure en nombre d’adhérents, alors que pour les syndicats de salariés, ce sont les résultats aux élections professionnelles. Évaluée tous les quatre ans, la représentativité nationale est actuellement reconnue au MEDEF, à la CPME et à l’U2P, du côté employeur, et à la CFDT, la CGT, FO, la CFTC et la CFE-CGC, du côté salarié.

Dans la fonction publique, la situation est différente. Lorsque des négociations ont lieu au niveau national, c’est le ministre de la Fonction publique qui représente la “partie employeur”.

Les syndicats des agents publics représentant les 5,7 millions d’agents publics sont plus nombreux que dans le privé (CGT, FO, CFDT, Unsa, FSU, Solidaires, CFE-CGC et FA-FP). Ces organisations ont ainsi été reçues, depuis le 30 septembre, par leur ministre sur l’avenir du projet de loi de réforme de la fonction publique.

Mais, sur tous les thèmes visés par le Premier ministre (chômage, emploi des seniors, retraite), ce sont bien les organisations représentatives d’employeurs et de salariés (donc le secteur privé) qui sont concernées.

Une négociation de l’assurance chômage encadrée

En décembre 1958, c’est par la négociation collective entre les employeurs et les syndicats de salariés qu’est créée l’assurance chômage en France, confiée à des associations paritaires relevant de la loi de 1901 : l’Unedic et les Assédic (union et associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce).

Mais le développement croissant du chômage, à partir des années 70, et les premiers déficits importants du système amenèrent une réforme en 1984, redéfinissant les compétences respectives de l’État et des partenaires sociaux.

Aujourd’hui, c’est d’abord au législateur que revient la définition des éléments constitutifs du régime d’assurance chômage : assujettissement (qui sont les salariés et employeurs soumis à ce régime ?), prestations (sous forme d’indemnisation) et financement (à répartir entre employeurs, employés et notamment l’État, donc le contribuable).

Ce cadre fixé par la loi, les mesures d’application, c’est-à-dire les règles d’indemnisation et les taux de cotisation, font l’objet d’un accord national interprofessionnel, renégocié tous les 2 à 3 ans entre les partenaires sociaux. Cette contribution paritaire à l’élaboration de réglementation de l’indemnisation du chômage a d’ailleurs été reconnue par le Conseil constitutionnel (Décision 89-257 DC du 25 juillet 1989).

Mais cette négociation est encadrée. D’abord, elle a lieu dans les limites d’un document de cadrage, remis par le Premier ministre, précisant les objectifs de la négociation en ce qui concerne la trajectoire financière (autrement dit, quelle marge de manœuvre financière ?), le délai dans lequel cette négociation doit aboutir et, le cas échéant, les objectifs d’évolution des règles du régime d’assurance chômage (notamment les périodes d’indemnisation). Ce document détaille les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles se fonde la trajectoire financière, ainsi que le montant prévisionnel, pour les trois exercices à venir, des sources de financement (article L5422-20-1 du Code du travail).

Un accord non conforme à ce cadre ne serait pas agréé par le Premier ministre et n’entrerait donc pas en vigueur. Dans cette hypothèse, comme dans celle d’une absence d’accord entre partenaires sociaux (on parle de carence), les mesures d’application sont alors déterminées par décret en Conseil d’État : le gouvernement reprend la main. Ce fut le cas entre 2018 et 2023.

Négocier au niveau national interprofessionnel sur le travail, l’emploi et la formation

La négociation nationale, comme celle sur l’emploi des seniors, obéit à un autre régime. D’eux-mêmes, les partenaires sociaux peuvent se saisir de tout thème entrant dans le champ de la négociation collective, c’est-à-dire de l’ensemble des conditions d’emploi, de formation professionnelle et de travail des salariés ainsi que de leurs garanties sociales (article L. 2221-1 du Code du travail).

Mais, depuis la loi Larcher de 2007, une procédure dite de “dialogue social” a été instaurée pour contraindre les pouvoirs publics à se tourner d’abord vers les partenaires sociaux, avant toute réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle (articles L.1 et suivants du Code du travail).

Dans ce cas, une concertation préalable avec ces partenaires sociaux doit être organisée en vue de l’ouverture éventuelle d’une négociation nationale interprofessionnelle. Le gouvernement leur communique alors un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.

Si les partenaires sociaux font connaître leur intention d’engager une telle négociation, les organisations indiquent au gouvernement le délai qu’ils estiment nécessaire pour la mener. Que ce soit à leur initiative ou à celle du gouvernement, si la négociation aboutit, elle débouche sur un “accord national interprofessionnel”.

Négocier les retraites… oui mais seulement les complémentaires

Dans le secteur privé, il faut distinguer la retraite de base de la retraite complémentaire (ce qui n’est pas le cas dans le secteur public). Quand un salarié du privé part à la retraite, il perçoit, selon ses droits acquis :

  • Une retraite de base versée par l’Assurance retraite du régime général de la Sécurité sociale. Elle est calculée en fonction du salaire moyen des vingt-cinq meilleures années et du nombre de trimestres validés. Elle représente au maximum 50 % de ce salaire moyen.
  •  Une retraite complémentaire versée par l’Agirc-Arrco, concernant les secteurs de l’industrie, du commerce, des services et de l’agriculture. Créées par accord entre employeurs et syndicats de salariés en 1947 pour l’Agirc (salariés cadres) et 1961 pour l’Arrco (salariés non cadres), ces deux régimes sont rendus obligatoires par une loi de 1972, et fusionnent en 2017. C’est un régime de retraite par points qui intervient en complément de la retraite de base.

Si la retraite de base des salariés comme celle des agents publics dépendent de la loi, le montant des retraites complémentaires Agirc-Arrco relève de la compétence des partenaires sociaux. Par exemple, leur revalorisation n’est pas automatique : tous les 4 ans, les partenaires sociaux redéfinissent par accord collectif les orientations stratégiques du régime Agirc-Arrco, et notamment la façon dont la revalorisation s’opère. Mais l’âge d’ouverture des droits à cette complémentaire dépend bien de l’ “âge légal”, donc du législateur.

Des cadres fixés par la loi, avant et après le processus de négociation ou de consultation

L’article 34 de la Constitution est sans ambiguïté : la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail (dont fait partie l’assurance chômage), du droit syndical et de la Sécurité sociale (dont fait partie la retraite).

Comme nous l’avons vu, c’est bien au législateur que revient d’abord la définition des éléments constitutifs du régime d’assurance chômage.

Concernant le travail, l’emploi ou la formation professionnelle, un “accord national interprofessionnel” doit quand même faire l’objet d’une loi pour être appliqué.

D’abord, parce que cette négociation nationale ne couvre pas toutes les branches. Certaines sont hors de son champ d’application comme les branches agricoles, l’économie sociale… :  l’accord négocié ne s’y appliquera donc pas. Seule une négociation propre à ces branches peut y mettre en œuvre l’accord interprofessionnel (dans un processus long et aléatoire, car ces branches peuvent être en désaccord avec le contenu de la négociation interprofessionnelle) … ou la loi. Surtout, ces accords viennent généralement modifier des dispositions qui touchent aux principes généraux du droit du travail et donc relèvent du législateur : c’est pour cela qu’on parle de “loi négociée”.

Enfin, le régime de la retraite de base ne relève pas non plus du champ de la négociation, mais bien de la loi. Cela ne signifie pas que les partenaires sociaux soient exclus du processus de réforme. Leur intervention se fera alors, non par la négociation, mais par :

  • Une “conférence sociale”, comme ce fut le cas, en juin et juillet 2013, pour la réforme Touraine de 2014,
  • Une transmission aux partenaires sociaux d’un document d’orientation du gouvernement indiquant les pistes privilégiées pour assurer le financement des régimes de retraites, lors de la réforme Woerth de 2010,
  • Une consultation des organisations représentatives de salariés et d’employeurs pour la réforme Fillon de 2003.

En n’utilisant aucune de ces voies, la réforme Borne de 2023 a ainsi été faite en deux mois par une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, ce que le Conseil constitutionnel a considéré comme conforme à la Constitution.

En proposant “une nouvelle discussion de cette réforme avec les partenaires sociaux, dans le cadre d’une grande conférence sociale”, le Premier ministre inscrit sa démarche dans la pratique antérieure à 2023.

Sous le contrôle du législateur, les partenaires sociaux participent à différents niveaux (négociation, consultation), et sous différentes formes à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques.

 

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