Gouvernement Michel Barnier : les boulettes juridiques de nos nouveaux ministres
Dernière modification : 28 septembre 2024
Autrices : Lili Pillot, journaliste et Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Parmi les 39 membres du nouveau gouvernement de Michel Barnier, certains ont fait parler d’eux pour des déclarations ou des positions contraires au droit. La nouvelle ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, avait par exemple minimisé l’importance de la charte de l’environnement. Tour d’horizon de nos surlignages des membres du gouvernement.
Comme nous l’avons fait pour le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, Les Surligneurs se sont plongés dans leurs archives pour retrouver les inexactitudes (voire les grosses bêtises) juridiques, prononcées par nos nouveaux ministres.
Le comble pour une ministre de la Transition écologique. Il y a cinq mois à peine, en mai 2024, alors qu’elle était ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Agnès Pannier-Runacher avait minimisé le poids juridique de la charte de l’environnement.
La désormais ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, avait affirmé sur le plateau de Public Sénat que “la charte de l’environnement a un rôle, mais dans la limite de la loi”.
Cette affirmation est fausse, comme nous l’avions rappelé dans la foulée. En effet, la charte de l’environnement ayant été intégrée au préambule de la Constitution en 2004, elle a valeur constitutionnelle, soit supérieure à celle des lois nationales.
La faute à Hollande
Un peu plus ancien, mais toujours sur le plan écologique, Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique, avait affirmé en juin 2022 que “le gouvernement sous [François, NDLR] Hollande a été condamné pour ne pas avoir respecté sa trajectoire climatique et avoir été deux fois trop lente pour réduire ses émissions de carbone”, tout en omettant de préciser que ce fut aussi le cas sous le mandat d’Emmanuel Macron.
En effet, l’État a été condamné par le Conseil d’État pour inaction climatique une première fois en 2020, pour la période 2015-2018. À la suite de cette condamnation, l’État, donc le gouvernement macroniste de l’époque, a été sommé d’agir.
Pourtant, malgré cette injonction, le gouvernement d’Édouard Philippe n’a pas réussi à rentrer dans les clous de l’Accord de Paris sur le climat, comme nous le rappelions.
La proposition de loi anticonstitutionnelle de Bruno Retailleau
Côté ministres issus des Républicains, Bruno Retailleau, fraîchement nommé à l’Intérieur, a aussi fait parler de lui par le passé. En 2019, alors sénateur, il dépose une proposition de loi pour interdire les listes électorales communautaristes, qui aurait été contraire à la Constitution.
Au-delà du débat sur la pertinence d’une telle loi, “le texte [soulevait] des difficultés juridiques non négligeables”, écrivaient les Surligneurs. En effet, cette loi aurait fortement restreint la liberté d’expression.
Or, il s’avère que la restriction impliquée par ce texte n’était ni justifiée, ni proportionnée. Si la loi (devenue caduque avec le temps) avait été discutée et adoptée, elle aurait très certainement été censurée par le Conseil constitutionnel.
Abracadabrantesque
Autre proposition juridique problématique du nouveau patron de la place Beauvau: celle de la révision de l’article 55 de la Constitution. Bruno Retailleau souhaitait revenir sur le principe de primauté des traités internationaux sur les lois nationales quand celles-ci sont adoptées postérieurement.
Une proposition que nous avions jugée abracadabrantesque : en effet, cette théorie n’a plus cours devant nos juges et nous fâcherait à coup sûr avec l’Union européenne.
Ce type de propositions radicales n’est pas exceptionnel pour Bruno Retailleau. En 2020, après des incidents dans les Hauts-de-Seine, le sénateur n’avait pas fait dans la dentelle et avait estimé que “là où il y a un problème, il faut un couvre-feu”.
Une affirmation bien cavalière que Les Surligneurs s’étaient empressés de nuancer. En effet, le couvre-feu est un outil de maintien, ou de rétablissement de l’ordre public, réservé aux incidents d’une ampleur exceptionnelle et se prolongeant dans le temps.
Il est nécessaire de faire attention à la façon dont il est employé, car c’est une atteinte grave aux libertés, réservée aux atteintes tout aussi graves à l’ordre public.
Contre la liberté garantie sur l’IVG
En février 2024, Bruno Retailleau avait appelé à une plus grande mesure concernant l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution.
Dans un amendement déposé avec Philippe Bas, mais rejeté par le Sénat, le parlementaire proposait de supprimer le mot “garantie” dans le texte de loi qui a fait de l’IVG une “liberté garantie” inscrite dans la Constitution.
À cette époque, Les Surligneurs étaient revenus sur les changements qu’impliquent les différences entre liberté, liberté garantie et droit à l’avortement.
Rachida Dati, ministre pas toujours à jour
Rachida Dati, ministre de la Culture depuis janvier 2024, n’a pas non plus la langue dans sa poche. En 2022, quand elle était maire du 7ᵉ arrondissement de Paris et membre du Conseil de Paris, elle s’était positionnée pour “rendre obligatoire l’hospitalisation des toxicomanes”.
Cette proposition, au-delà du débat politique, aurait été illégale, car nul ne peut se voir imposer des soins en droit français. Les seules exceptions existantes ne correspondent pas du tout à la situation dénoncée par Rachida Dati.
Il faut dire que la ministre de la Culture n’est pas toujours à jour sur ses cours de droit. En 2020, elle avait soutenu, devant Jean-Jacques Bourdin, que le délit de séjour n’existait plus.
Les Surligneurs lui avaient rappelé que si la France a bien supprimé le délit de séjour irrégulier des étrangers du Code pénal, c’est seulement pour les étrangers sous le coup d’une mesure d’éloignement (ordre de quitter le territoire français). L’entrée irrégulière sur le territoire français est, elle, toujours un délit.
Une mesure… qui existe déjà
Autre petit impair juridique de Rachida Dati, la promesse faite aux Parisiens, à l’occasion de sa candidature pour la mairie de Paris en 2020, de réaliser des changements pour les locations touristiques.
Elle voulait que les propriétaires d’Airbnb démontrent la preuve du respect à la législation française en les contraignant à renseigner leur numéro de contribuable ou le numéro de la société civile immobilière (SCI) propriétaire du logement. Une belle idée… dont l’obligation existe déjà depuis 2016, avaient rappelé Les Surligneurs.
Quand Sébastien Lecornu s’assoit sur la présomption d’innocence
Sébastien Lecornu a connu plusieurs portefeuilles ministériels avant d’arriver à ce poste de ministre des Armées. Lors de son premier, en tant que secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique en 2018, il s’était exprimé, sans prendre de gants, à propos de militants écologistes, au risque de piétiner la présomption d’innocence.
À l’occasion de l’évacuation des opposants au projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, il avait qualifié les manifestants de “délinquants”. Il avait aussi utilisé les termes d’“affilié à l’ultragauche”, et de “mouvements anarchiques”.
En affirmant cela, Sébastien Lecornu n’a pas respecté la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), ni un principe fondamental de la procédure pénale. Comme le dit l’article 9 de la DDHC, “tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable”. Ce principe de présomption d’innocence est aussi consacré dans un article préliminaire du Code de procédure pénale.
Jean-Noël Barrot, même pas besoin des juges
Anciennement ministre du Numérique, Jean-Noël Barrot avait affirmé que “si Twitter ne se conformait pas [à nos, NDLR] règles européennes de lutte contre la désinformation, il serait banni de l’Union européenne”.
Sauf que, comme nous l’avions rappelé, ce n’est pas au pouvoir exécutif de trancher cette question, mais bien à la justice. Cette prérogative du pouvoir judiciaire est inscrite à l’article 51 du règlement européen sur les services numériques (DSA).
En l’occurrence, ce serait très certainement la justice irlandaise qui trancherait la question, puisque c’est là-bas que X a son siège européen.
Laurent Saint-Martin, a proposé la première police illégale régionale
En 2021, Laurent Saint-Martin, alors député LREM du Val-de-Marne, était en ligue pour présider la région Île-de-France et avait annoncé vouloir créer la “première police régionale de France”.
Une mesure centrale de son programme… mais problématique au niveau de la loi. Mais, comme l’ont pointé du doigt Les Surligneurs, seule la loi peut créer une police régionale dotée de pouvoirs analogues à ceux des polices municipales ou nationales.
Au sens légal du terme, impossible donc pour la région de mettre en place une “police”. Contacté à cette époque par notre rédaction, Laurent Saint-Martin avait précisé sa pensée en expliquant vouloir “coordonner les polices municipales”.
Tu déclares, on vérifie
Si c’est le premier mandat ministériel de Laurent Saint-Martin, l’homme est un habitué du camp macroniste. Il est même à l’origine d’une formule, reprise par Gabriel Attal en janvier 2024 “Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies”.
C’est avec cette même formule qu’en 2021, Laurent Saint-Martin nommait la politique de travail d’intérêt général (TIG) qu’il souhaitait instituer lors de sa campagne pour les régionales d’Île-de-France : “afin de lutter plus efficacement contre les incivilités et les dégradations”.
La région, en tant que collectivité publique, peut proposer des travaux d’intérêt général au juge de l’application des peines sur une liste indicative, mais c’est le juge et lui seul, lorsqu’il prononce la peine à l’encontre des auteurs des dégradations, qui décidera s’il souhaite y recourir ou non.
Les Surligneurs avaient également précisé qu’il est impossible de créer des peines automatiques, car cela irait à l’encontre du principe d’individualisation des peines. Un principe fondamental de notre État de droit.
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