Polio à Gaza : Didier Raoult a-t-il vraiment insinué qu’il s’agissait d’une contamination volontaire ?
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteurs : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Instagram, le 9 septembre 2024
Face à une recrudescence de cas de polio dans la bande de Gaza, des rumeurs circulent sur l’origine du virus. Si les études suggèrent que le virus pourrait être un variant d’une souche vaccinale, cela est dû au type de vaccin utilisé et à une couverture vaccinale qui n’est pas assez importante.
Invité sur le plateau de L’heure des pros sur Cnews. Le désormais bien connu Didier Raoult, ancien directeur de l’IHU Méditerranée, ne s’est pas contenté de faire la promotion de son livre au micro de Pascal Praud, mais a décidé de donner son avis sur la situation épidémique dans la bande de Gaza. “Le virus de la poliomyélite à Gaza, c’est pas un virus naturel hein, c’est un virus fait par l’homme […]. C’est un virus vaccinal”, explique celui qui fut infectiologue face à un Pascal Praud balbutiant ne sachant comment jouer son rôle de modérateur.
Sur les réseaux sociaux, cet extrait a rapidement été repris et décrit comme une “bombe” lâchée par le médecin. Certains n’hésitent pas à prendre des raccourcis dangereux et estiment que Raoult “sous-entend que les contaminations ont été volontaires pour infecter les gazaouis”.
Tout d’abord, rappelons que cette conclusion hâtive n’est pas du tout celle émise par Didier Raoult lui-même. Cette formulation de “virus vaccinal” doit, quant à elle, être précisée face à une situation bien réelle et dramatique qui sévit en Palestine. Face à une catastrophe humanitaire et sanitaire dans la région, Les Surligneurs font le point sur ce que nous savons de la situation liée au virus de la poliomyélite à Gaza ?
Un quart de siècle
La poliomyélite ou “polio” est une maladie très contagieuse causée par le poliovirus et qui peut provoquer une paralysie parfois complète et qui touche particulièrement les enfants. Le 16 août 2024, le premier cas de poliomyélite depuis 25 ans dans la bande de Gaza a été confirmé par le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne. Dans cette région minée par la guerre, les campagnes de vaccination, qui avaient permis à cette région de ne pas avoir de cas de cette maladie depuis un quart de siècle, ont été largement ralenties.
Après la détection du virus de la polio dans les eaux usées en juillet et ce premier cas chez un bébé en août, l’Organisation Mondiale de la Santé a réclamé des pauses humanitaires afin de pouvoir mener à bien des campagnes de vaccination de plus de 640 000 enfants de moins de dix ans. Ce 13 septembre, la première phase de vaccination s’est conclue et 560 000 enfants gazaouis ont pu être vaccinés, selon l’ONU.
Deux méthodes vaccinales
Cette campagne de vaccination a suscité beaucoup de réactions. Sur les réseaux sociaux, les photos de l’administration du vaccin oral ont déclenché des vagues d’indignation. Pourtant, cette administration de gouttelettes de la fiole dans la bouche de l’enfant directement est une pratique tout ce qu’il y a de plus courante.
En effet, il existe deux façons d’administrer le vaccin : par voie injectable et par voie orale. Tous les deux ont été développés dans les années 50, mais sont différents dans leur fabrication. Le vaccin injectable est produit à partir de virus inactivé, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’agent infectieux vivant, mais que le système immunitaire va pouvoir réagir à l’enveloppe. Ainsi, la personne vaccinée par voie injectable pourra produire les anticorps nécessaires pour se défendre dans le cas de rencontre avec un véritable poliovirus.
Le deuxième vaccin est, lui, oral et est produit à partir d’un virus atténué : le virus est toujours vivant, mais il a été modifié en laboratoire de façon à perdre sa pathogénicité (sa capacité à devenir une maladie pour l’hôte). En clair : les personnes vaccinées par la voie orale vont vraiment être infectée par un poliovirus (atténué donc) mais ne contracteront pas la maladie.
Si ce vaccin par voie orale protège mieux contre l’infection, il reste un virus “vivant” et peut donc toujours muter, comme le fait tout virus. “Si vous n’arrivez pas à vacciner un pourcentage suffisant de la population, ce virus atténué peut se propager d’individu en individu non vacciné, développe Maël Bessaud, directeur du Laboratoire associé au Centre national de référence entérovirus/paréchovirus à l’Institut Pasteur. Au fur et à mesure de cette chaîne de transmission qui peut durer des mois, le virus mute et à un moment, il peut redevenir pathogène. On dit qu’il réverte.”
“Virus dérivé du vaccin”
C’est potentiellement ce qui s’est passé à Gaza. Les poliovirus détectés à Gaza pourraient venir d’un variant d’une souche vaccinale qui circulait en Egypte (PVDVc2). Comme il restait des poches de personnes non vaccinées, le virus atténué présent dans le vaccin oral a pu réaliser une réversion.
Pour Maël Bessaud, la formulation de Didier Raoult sur le “virus vaccinal” est trompeuse. “Ce n’est pas directement le virus atténué dans le vaccin qui rend les gens malades, mais ses variants qui ne peuvent exister que parce qu’il reste des gens non vaccinés. Il serait plus juste de parler de virus dérivé du vaccin.”
Mais alors, pourquoi ne pas utiliser le vaccin injectable pour lequel il n’y a pas de risque de réversion ? “C’est tout un débat, explique Maël Bessaud de l’Institut Pasteur. Pour le vaccin injectable, il y a tout un problème logistique : il faut du personnel médical pour l’injection et bénéficier d’un niveau d’hygiène important.” Or dans les zones de conflits, comme à Gaza, l’accès à l’eau potable et les conditions sanitaires sont des défis.
Justement, la question de la révertabilité du vaccin oral a déjà été soulevée de nombreuses fois. Au milieu de la décennie 2010, un nouveau vaccin oral a été mis sur le marché, et c’est d’ailleurs celui-ci qui est utilisé à Gaza en ce moment. “Le nouveau vaccin oral contre la polio a été modifié afin de stabiliser l’atténuation. Ainsi, le chemin évolutif pour arriver à une pathogénicité est plus long”, explique Maël Bessaud. Traduction : le virus devra passer par plus d’hôtes pour réverter.
In fine, Didier Raoult a, en partie, raison : il y a désormais plus de cas de poliomyélite dûs aux variants des vaccins oraux que de ceux dûs aux souches dites sauvages. Mais il oublie de préciser que ce ratio est dû à la quasi-élimination des souches sauvages grâce à la vaccination.
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