Ukraine : la France ne soutient pas Kiev avec l’argent de la Russie
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 12 septembre 2024
“La France mobilise 1,4 milliard d’euros d’avoirs russes pour soutenir l’Ukraine”, affirme un post, largement commenté et relayé, sur Facebook. Une information pour le moins très approximative comme nous avons pu le vérifier auprès de spécialistes. Ici, c’est l’Union européenne qui agit et mobilise “les recettes exceptionnelles” des avoirs russes.
Disons-le d’emblée : contrairement à ce que suggère la publication, qui semble copier-coller un article de l’agence de presse turque Anadolu Ajansı, basé lui-même sur un communiqué de presse du ministère français des Armées, la France n’utilise pas l’argent de la Russie pour financer son soutien militaire à Kiev.
Évidemment complexe — qui plus est pour un pays qui ne dispose toujours pas d’un gouvernement et dans une situation financière exsangue — le sujet mérite quelques éclaircissements.
Le premier, et pas des moindres, concerne les avoirs russes cités. De quoi s’agit-il concrètement ? D’argent de l’État russe bloqué dans l’Union européenne à la suite du déclenchement du conflit en Ukraine.
Par “bloqué”, entendez : qui ne peut être rapatrié en Russie. D’après les chiffres publiés sur le site internet du Conseil européen, cette décision – ou plutôt sanction – à l’encontre de la Russie, concernerait 210 milliards d’euros d’actifs de la Banque centrale de Russie.
L’argent de la Russie pas engagé
“Après le lancement par la Russie de son invasion à grande échelle illégale et injustifiée de l’Ukraine en février 2022, l’UE, en coordination avec ses partenaires internationaux, a décidé d’interdire toute transaction liée à la gestion des réserves et des avoirs de la Banque centrale de Russie. Il résulte de cette interdiction que les avoirs concernés détenus par des établissements financiers dans les États membres sont ‘immobilisés’”, précise, dans un communiqué de presse, le Conseil de l’Union européenne.
Autrement dit, c’est comme si vous disposiez d’un compte à l’étranger et qu’à la suite d’un contentieux dans ce pays, vous ne pouviez plus transférer votre capital sur un compte en banque de votre pays d’origine.
Or, pour être tout à fait précis, dans le cas qui nous occupe, ce n’est pas l’argent “bloqué” qui est mobilisé pour financer l’envoi de matériel militaire à Kiev mais, comme l’explique la Commission européenne, une partie des recettes que génère cet argent. Une nuance importante au regard des montants en jeu.
Un engagement européen
“Personne ne mobilise les actifs russes immobilisés — l’Europe s’est jusqu’ici totalement refusée à spolier les Russes en saisissant ces actifs par peur d’effrayer les investisseurs étrangers — mais uniquement le produit de ces actifs — c’est-à-dire les revenus du capital russe en Europe (dividendes et autres)”, détaille aux Surligneurs Victor Warhem, le Représentant du Centre de politique européenne (CEP) en France. Le tout sur la base d’une décision du Conseil de l’Union européenne du 12 février dernier et dont voici le règlement. Qui sera, par la suite, suivi, le 21 mai 2024, d’un feu vert du Conseil pour utiliser ces recettes exceptionnelles “afin de soutenir les capacités d’autodéfense de l’Ukraine et sa reconstruction”.
On comprend également, à la lecture de ces explications, que ce n’est pas non plus la France qui dispose des recettes générées par les avoirs russes, mais la Commission européenne. Et ce à travers notamment un outil appelé “facilité européenne pour la paix” (FEP) qui s’en trouve ainsi abondé.
Quant au montant évoqué, conformément à ce qu’indique un document de l’opérateur (Euroclear), détenteur des avoirs russes évoqués ci-dessus, ce sont 1,55 milliard d’euros qui sont mis à disposition de la Commission européenne. Toutefois, comme le précise ici l’institution présidée par Ursula von der Leyen, “90 % de la contribution financière provenant de ces recettes exceptionnelles iront à la facilité européenne pour la paix (FEP)”. Soit 1,4 milliard d’euros.
Une somme qui permettra notamment d’acheter du matériel militaire pour soutenir l’Ukraine selon les prérogatives, consultables ici, dont jouit la FEP depuis sa création en mars 2021.
300 millions d’euros de matériel français
Une question dès lors demeure, quel est le rôle précis de la France dans ce nouveau soutien financier et militaire annoncé en faveur de l’Ukraine, cet été, par la Commission européenne ?
D’après un communiqué de presse du ministère des Armées, en date du 6 septembre dernier, “la Commission européenne s’est accordée avec la Direction générale de l’armement pour qu’elle procède, avec ce financement [1,4 milliard d’euros], à l’acquisition rapide auprès de l’industrie française de matériels prioritaires pour l’Ukraine dans les domaines des munitions, de l’artillerie et de la défense aérienne, pour un montant de 300 millions d’euros sur l’année 2024”.
Un communiqué flou qui ne répond pas à certaines questions. Est-ce la Commission européenne, et donc l’UE, qui achète directement du matériel aux industriels français ? Ou est-ce la France qui lance des commandes et se fait ensuite rembourser la somme évoquée, 300 millions d’euros, par l’UE ?
Un flou et une certitude
Contacté par les Surligneurs, le ministère des Armées indique jouer “le rôle d’opérateur au profit de la Commission européenne pour une partie de cette somme”, avant de préciser que “les 300 millions d’euros issus de la première tranche, opérés par la Direction générale de l’armement, permettront à l’Ukraine d’acquérir des matériels de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française correspondant à ses besoins prioritaires”.
Autrement dit, si c’est bien la France, selon un accord avec la Commission européenne, qui achète du matériel militaire au profit de l’Ukraine, ces acquisitions se font avec une partie de l’argent récolté par l’Union à travers la facilité européenne pour la paix.
En aucun cas donc, la France agit seule pour utiliser les bénéfices issus des avoirs russes gelés en Europe, comme semble le croire un bon nombre d’internautes.
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