Infox sur Brigitte Macron : quand les fake news passent devant le tribunal en France

Création : 13 septembre 2024
Dernière modification : 16 septembre 2024

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers ; Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP à l’Université Paris-Saclay ; Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Lili Pillot, journaliste

Après la condamnation de deux femmes pour diffamation à l’égard de Brigitte Macron, la question de la judiciarisation de la lutte contre la désinformation se pose. Face à des défis liés à la viralité du net, aux ingérences étrangères, mais aussi à la liberté d’expression, cet exemple est finalement un cas plutôt rare où raconter de fausses informations a valu à des internautes de se confronter à la justice.

Ce jeudi 12 septembre 2024, deux femmes qui avaient, pour la première fois en 2021, diffusé massivement une rumeur selon laquelle Brigitte Macron mentirait sur son genre de naissance, ont été condamnées pour diffamation.

Cet exemple de condamnation, mais surtout de procès, sont finalement plutôt très rare par rapport au nombre de fausses informations qui circulent. Et à raison, car mentir n’est illégal que dans des situations très précises. Tour d’horizon de la difficile judiciarisation de la lutte contre la désinformation.

La fausse information n’est pas interdite par la loi 

Il serait tellement plus simple d’asséner un sobre “Tu ne mentiras point”, mais dans les textes de loi français – et dans la plupart des démocraties d’ailleurs –, vous ne trouverez rien de la sorte, et pour cause. “Il n’existe pas en France de délit de fake news en tant que tel, explique Thomas Fourrey, avocat pénaliste. Pour qu’il y ait une plainte et une condamnation, il faut qu’il y ait un préjudice.” En clair, dire un mensonge, qu’il soit intentionnel ou qu’il résulte d’une erreur, n’est pas réprimé par la loi en tant que telle.

Par contre, à partir du moment où il y a des conséquences liées à la propagation de cette fausse information, cela peut tomber, dans des cas précis, sous le coup de la loi.

Brigitte Macron, elle, a choisi d’engager des poursuites pour diffamation, ce qui est une des voies possibles quand il s’agit de faire sanctionner de fausses informations par la justice, en France. Il a fallu deux étapes de raisonnement, puisque affirmer que Brigitte Macron est une femme transgenre n’est pas en soi de la diffamation, analyse Evan Raschel, professeur en droit privé et sciences criminelles à l’université Clermont-Auvergne. “Dire de quelqu’un qu’il ou elle est trans ce n’est pas dire du mal de la personne, il faut qu’il y ait une atteinte à la considération ou à l’honneur d’une personne.” C’est la seconde étape du raisonnement.

Mais porter atteinte à l’honneur d’une personne oui 

En effet, d’après l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, une diffamation est une “allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne”. C’est précisément pour cela que les deux femmes condamnées par le tribunal correctionnel de Paris, ce 12 septembre, l’ont été pour des motifs de diffamation qui ne sont pas liés à des propos sur la transidentité supposée. La diffamation portait sur des allégations de détournement de mineur et de falsification d’actes d’état civil.

Aller au pénal, comme ont choisi de le faire Brigitte Macron et son frère, Jean-Michel Trogneux, lui aussi partie civile dans ce procès, est un choix stratégique. La Première dame aurait pu choisir de saisir le juge civil au titre de l’article 9 du Code civil pour “atteinte à la vie privée”. C’est, par exemple, ce qu’avait choisi de faire Elisabeth Borne en 2023 lors de la publication d’une biographie. Elle avait alors assigné la maison d’édition en justice pour qu’elle retire des passages du livre, notamment sur son orientation sexuelle, sous couvert d’atteinte à la vie privée. Comme pour la diffamation, ce n’est pas l’information en tant que telle qui devait être vérifiée, mais ses conséquences. Et dans les deux cas (diffamation et atteinte à la vie privée) peu importe que l’information soit vraie ou fausse, ce n’est pas le mensonge qui est puni en lui-même.

“Aller au civil pour ‘atteinte à la vie privée’ ou aller au pénal pour ‘diffamation’ sont deux logiques différentes, note Evan Raschel de l’université Clermont-Auvergne. Au civil, la logique sera purement indemnitaire et directement liée au préjudice subi par une seule personne, tandis qu’au pénal, la logique veut que ce soit la société dans son ensemble qui est touchée.”

Diversité de délits pour fausses déclarations

La diffamation et l’atteinte à la vie privée ne sont pas les seuls cas où de fausses déclarations peuvent être réprimées par la loi. À farfouiller dans les textes, on trouve d’autres cas dispersés dans plusieurs codes. Crier au loup pour faire croire à la destruction ou au sinistre d’un endroit est un délit puni par l’article 322-14 du Code pénal. En 2015, la pratique du swatting, un canular visant à appeler les secours pour rien, s’était répandue.

À l’article 27 de la loi sur la presse de 1881, on retrouve des peines pour les délits de “nouvelles fausses”, qui auront “troublé l’ordre public”, mais aussi qui viseraient à “ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation”. Un délit très XIXe siècle. La loi pourra aussi réprimer des fausses informations dans un contexte commercial, pour publicité mensongère, informations erronées ou encore omission d’information, d’après le Code de la consommation (L121-2).

En réalité, le contexte dans lequel les fausses informations sont le plus visées et susceptibles de tomber sous le coup de la loi est la période électorale. Ou en tout cas, c’est ce qui est prévu…

On trouve dans le code électoral (article L97) des peines d’un an d’emprisonnement et une amende de 15 000 euros pour ceux qui auront “surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter” à l’aide de fausses nouvelles.

Tentative de loi pour lutter contre les fake news électorales

Dernièrement, plusieurs lois ont tenté de renforcer l’arsenal juridique destiné à lutter contre la désinformation, notamment en ligne. Une loi “relative à la lutte contre la manipulation de l’information” est adoptée en décembre 2018 et créée un nouvel article dans le Code électoral (Article L. 163-2) qui ouvre une nouvelle voie en référé pour stopper les fausses informations durant les trois mois précédant un scrutin national. Le juge a 48 heures pour se prononcer.

“Il faut se remettre dans le contexte, raconte François Saint-Bonnet, historien du droit à l’Université Paris-Assas. Nous sortions de trois scrutins particulièrement ciblés par des informations erronées sur les réseaux sociaux – élection de Trump puis de Macron et vote sur le Brexit. Il y a eu le sentiment que ces fausses informations avaient pesé sur la sincérité du scrutin. Emmanuel Macron avait été lui-même la cible de fausses informations sur une supposée homosexualité.”

Pour autant, cette loi peut désormais être qualifiée de flop. Saisi, le Conseil constitutionnel avait émis deux réserves d’interprétation (autrement dit : la loi est constitutionnelle à condition de l’interpréter de la façon suivante). Il faut que la fausse nouvelle soit “évidemment trompeuse ou fausse”, et qu’elle soit “évidemment de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin”. Selon le chercheur Laurent Convert, maître de conférences en droit comparé à l’université Paris 2 Panthéon-Assas, dans un article publié en 2021 chez LexisNexis, le Conseil constitutionnel a eu une “approche précautionneuse”, rendant même l’application de la loi particulièrement difficile.

Depuis son entrée en vigueur, la loi n’aura été utilisée qu’une seule fois… dans le but justement de prouver son inefficience. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur de l’époque, avait tweeté qu’une attaque de manifestants était en cours à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris en plein mouvement des gilets jaunes : une information erronée et débunkée par de nombreux médias. Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias avait alors tenté de faire appel au juge des référés pour faire stopper la diffusion de cette information sur Twitter grâce à la loi de 2018. L’échec de cette assignation en référé a été, selon lui, “la preuve par l’absurde”, que la loi était “inutile”, avait-il dit à Public Sénat.

Responsabiliser les plateformes numériques

Au niveau français, il est effectivement compliqué de faire passer les fausses informations devant un juge. Tout simplement parce qu’il faut prouver que le mensonge a eu des conséquences tangibles, sans quoi on porte atteinte à la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen et à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Comme Internet n’a pas de frontières, plusieurs lois internationales s’appliquent, mais sans beaucoup plus de succès en matière de judiciarisation de la lutte contre la désinformation. “Il y a eu quelques tentatives de mettre des bots russes devant la justice, raconte Evan Raschel. Mais la complexité est renforcée par ce côté international : à la fois pour prouver l’infraction, définir la responsabilité. À cela s’ajoutent des questions économiques et géopolitiques.”

La tendance est plutôt à la responsabilisation des plateformes en matière de contenu. Le règlement européen sur les services numériques (DSA pour Digital Services Act) veut mettre fin au “Far west” sur Internet et lutter contre la désinformation, comme nous l’avions déjà expliqué aux Surligneurs. Plutôt que de sanctionner ceux qui diffusent de la désinformation, le but ici est de mettre à l’amende les plateformes numériques qui favorisent la diffusion de désinformation, en les forçant à mettre en place des pratiques vertueuses et prévenir les dérives. Une démarche qui rejoint les conclusions des États généraux de l’information, rendues publiques le 12 septembre, qui recommandent d’améliorer en amont l’éducation aux médias et la qualité de l’information.

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