Autoroute A69 : pourquoi les travaux continuent-ils malgré les nombreux recours juridiques ?

Crédit : kallerna (CC 4.0)
Création : 6 septembre 2024

Autrice : Lili Pillot, journaliste

Relecteurs : Clara Robert-Motta, journaliste et Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Entamée en mars 2023, la construction de l’autoroute A69, qui doit relier Toulouse et Castres, continue malgré les nombreux recours juridiques pour la stopper. Saisi par des opposants au projet, le tribunal administratif de Toulouse n’a toujours pas rendu de décision sur le fond. Conséquence : les travaux en cours, notamment la coupe d’arbres qui a repris le 1ᵉʳ septembre 2024, sont légaux.

L’A69 n’est pas qu’un sujet politico-médiatique. C’est aussi un lourd dossier juridique. Pour cette autoroute très contestée, dont les travaux ont débuté en mars 2023, la bataille judiciaire est sans fin entre pro et opposants.

Un an et demi après le début des travaux, Les Surligneurs font un état des lieux juridique du dossier A69.

Mesures d’urgence sans effet face au privilège du préalable

Le bras de fer juridique a commencé en même temps que les travaux. Autorisée par un arrêté interdépartemental (Tarn, Haute-Garonne, Occitanie) le 1ᵉʳ mars 2023, et entamée le 6 mars 2023, la construction de l’autoroute a très vite été contestée devant la justice. Le 22 mars de la même année, France Nature Environnement dépose un référé liberté pour suspendre l’abattage d’arbres centenaires. Le juge rejette la demande dans la foulée, deux jours plus tard.

Le schéma se répète pour quasiment toutes les procédures. Les opposants au projet d’autoroute obtiendront cependant une victoire temporaire, un an après le début de la construction : la suspension de la coupe d’arbres dans le bois de la Crémade en mars 2024, et ce, jusqu’au 31 août, suite à une décision de l’Office français de la biodiversité en raison de la nidification d’espèces protégées. Le 1ᵉʳ septembre 2024 au matin, les tronçonneuses ont finalement repris du service.

Des ouvriers se sont remis à couper des arbres, près de Saïx (Tarn), le 1ᵉʳ septembre 2024. (Photo : Ed Jones / AFP)

 

Au total, pas moins de 24 procédures ont été entamées auprès de la justice en un an et demi, selon “La Voie Est Libre”, une des associations opposée au projet.

Si une bonne partie des recours n’ont pas abouti, principalement des référés pour faire suspendre les travaux, une dizaine de procédures restent en cours en septembre 2024. C’est le cas du recours sur le fond, adressé au tribunal administratif de Toulouse, mais aussi de plusieurs plaintes déposées auprès du procureur de la République et d’une saisine de la Commission européenne.

Pourquoi ces procédures d’urgence n’ont-elles pas permis de suspendre les travaux ? D’abord parce que les référés sont des procédures d’urgence où le juge est appelé à se positionner très rapidement, il ne peut agir qu’en cas d’illégalité grossière (on dit en droit “manifeste”). Or dans des dossiers aussi techniques, il peut y avoir des illégalités mais très rarement grossières : ce sont souvent de simples irrégularités sur la forme (par exemple une signature manquante ou un délai non respecté à quelques jours près), qui ne justifient pas une intervention du juge en urgence.

Ensuite, “en droit public, il existe un grand principe : celui du privilège du préalable. Ça veut dire que les actes administratifs ont un caractère exécutoire : ils doivent être respectés à partir du moment où ils sont publiés”, nous explique Dorian Guinard, maître de conférences en droit public à l’université de Grenoble Alpes. C’est bien une présomption de légalité qui bénéficie à l’administration et qui lui permet d’avancer dans ses missions sans entraves excessives.

Une analyse sur le fond qui prend du temps

En l’occurrence, le juge administratif a toujours conclu qu’il y avait “une absence de caractère manifestement illégal”, aux opérations d’abattages des arbres. Légalement, elles sont autorisées par l’arrêté départemental qui bénéficie du privilège du préalable.

“Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a une possibilité pour que tout soit finalement déclaré illégal [à la fin de la procédure, lorsque le juge se prononcera sur le fond, ndlr], mais on aura quand même dépensé 230 millions d’euros et détruit de la biodiversité”, déplore Dorian Guinard.

Pour le moment donc, l’arrêté qui autorise les travaux de l’A69 est présumé légal. Et des procédures d’urgence n’y changeront rien. C’est pourquoi les opposants au projet ont saisi la justice sur le fond, une première fois en juin 2023.

À l’heure actuelle, la décision du tribunal administratif de Toulouse n’a pas été rendue. Mais Gilles Garric, membre du collectif opposé au projet “La Voie Est Libre”, nous l’assure, ça ne saurait tarder. “Le 2 août 2024 a marqué l’étape de la fin de l’instruction. Normalement, nous aurons la décision avant la fin de l’année.” Une date confirmée par Martial Gerlinger, le directeur général d’Atosca.

Procédures au pénal et saisine de la Commission européenne

En parallèle de cette procédure devant la justice administrative, certains opposants au projet ont déposé des plaintes au pénal, auprès du procureur de la République.

La première concerne les infractions de trafic d’influence, prise illégale d’intérêts et faux et usage de faux. L’affaire vise la commune de Maurens-Scopont, où le tracé de l’autoroute aurait été modifié du nord vers le sud sur pression du maire de la commune, propriétaire de terres impactées. Une modification qui pourrait augmenter les risques d’inondations dans certains villages, selon Gilles Garric, et détériorer un bâtiment classé monument historique.

D’autres plaintes ont été déposées pour pollution de l’eau sur le chantier et destruction d’espèces protégées.

Ultime recours juridique : des militants écologistes ont saisi la Commission européenne pour non-respect des engagements de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Les opposants au projet ne sont pas les seuls à s’engouffrer dans la voie judiciaire. En face, côté constructeur, 158 plaintes auraient été déposées, notamment pour des faits de violences sur les chantiers, selon les informations recueillies par Les Surligneurs auprès d’Atosca, la société chargée de construire l’autoroute.

Malgré toutes ces procédures, les travaux continuent. Martial Gerlinger a indiqué aux Surligneurs que sur le budget prévu, 240 millions d’euros ont déjà été dépensés. “Pour nous, l’avancée est forte. Nous sommes à plus de la moitié du projet et la livraison est toujours prévue pour fin 2025.”

Une rapidité qui étonne Dorian Guinard. “Le projet ne pressait pas, il suffisait de purger les recours, ils attendaient en gros trois à quatre ans que le contentieux au fond se dénoue. Et si le Conseil d’État jugeait tout ça légal, banco ! Mais là, en l’état, je trouve ça très risqué.”

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