Royaume-Uni : le gouvernement va-t-il proposer une “loi blasphématoire” pour “protéger les musulmans” ?
Dernière modification : 27 août 2024
Autrice : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétaire de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Facebook, le 18 août 2024
Sur Facebook, un post montrant ce qui semble être le titre d’un article indique que le “Royaume-Uni s’apprête à adopter une loi sur le blasphème pour protéger les musulmans”. Une information sensible après les émeutes à caractère racistes survenues cet été outre-Manche, mais qui se révèle surtout fausse selon nos informations.
Dans le monde sans scrupules des fausses nouvelles, il suffit de quelques mots, d’un article, de beaucoup d’interprétations et d’une capture d’écran grossière pour transformer un débat public en une loi prête à être adoptée et à enflammer les réseaux sociaux.
Ainsi, dans le cas qui nous occupe, un internaute relaie le titre d’un article choc qui affirme que le Royaume-Uni, à travers donc son nouveau gouvernement de gauche travailliste dirigé par Keir Starmer, est prêt “à adopter une loi sur le blasphème pour protéger les musulmans”.
Une allégation hautement inflammable, comme le révèle le nombre de réactions déclenché par le post, après les évènements racistes qui ont touché le Royaume-Uni à la suite du meurtre de trois fillettes et déjà des manipulations de l’information quant au profil du principal suspect.
Un article mensonger
Toutefois, lorsque l’on creuse véritablement le sujet, la manœuvre sémantique se révèle assez rapidement. Les Surligneurs ont retrouvé la trace de l’article en question.
Et le premier paragraphe ne laisse guère de doute quant à l’idéologie qui l’habite. Il y est écrit que “le gouvernement britannique d’extrême gauche (…) s’apprête à introduire une loi sur le blasphème qui criminalisera la critique de l’islam, à la suite des troubles civils provoqués par l’immigration clandestine incontrôlée et l’islamisation du Royaume-Uni.”
Son auteur, présenté comme un “docteur en études bibliques” et “journaliste accrédité par le Vatican” ne semble guère s’embarrasser, à en croire le vocabulaire choisi, des quelques règles élémentaires de la déontologie journalistique.
Quant à ses sources, elles sont extrêmement fragiles. La principale repose sur une note de l’organisation National Secular Society (NSS) publiée le 13 août, soit un jour avant l’article fallacieux et titrée : “Les définitions de la « religion-phobie » doivent être évitées, prévient le NSS au gouvernement.”
On peut y lire le résumé d’une lettre envoyée au gouvernement britannique “suite à des informations selon lesquelles le gouvernement s’engage avec les parties prenantes à soutenir l’adoption d’une définition controversée de l’ « islamophobie » dans le sillage des récentes attaques contre des mosquées et des musulmans par des émeutiers d’extrême droite.” Or, les informations évoquées ici se concentrent sur un autre article publié par le site Jewish News, le 5 août.
Selon cette nouvelle source, “Le gouvernement étudie « de près » la question de la création d’une définition spécifique de l’islamophobie”. Une affirmation confirmée par ailleurs par cet article du Telegraph.
Toutefois, dans les deux cas, il est précisé que “le gouvernement n’a pas confirmé qu’une infraction pénale spécifique à l’islamophobie était envisagée” (Jewish News), ou encore qu’“une définition de l’islamophobie ne serait pas juridiquement contraignante” (The Telegraph).
Des débats anciens
Ainsi, à la lecture de cet ensemble d’information et selon les experts interrogés par Les Surligneurs, “il est faux de dire que le gouvernement prévoit l’introduction d’une loi sur le blasphème en Grande-Bretagne”, soutient Ruth Peacock de l’organisme indépendant britannique, Religion Media Center. “C’est à l’évidence une Fake News, probablement née des émeutes perpétrées par l’extrême droite au début du mois et qui visaient les musulmans”, affirme pour sa part Vincent Latour, professeur des Universités en civilisation britannique.
Il est vrai, en revanche, qu’il existe un débat public au Royaume-Uni pour une définition légale de l’islamophobie. Et “même si cette définition avait une valeur juridique, on peut se demander si elle limiterait la liberté d’expression et si elle équivaudrait à une disposition semblable à celle sur le blasphème”, précise aux Surligneurs Russel Sandberg, professeur de droit à l’Université de Cardiff.
Aussi, pour être tout à fait précis, rappelons que le débat en cours outre-manche n’a rien de nouveau comme le prouve, par exemple, ce compte-rendu d’un débat tenu le 9 janvier dernier à la Chambre des Communes ou ce rapport parlementaire de 2021, soit dans les deux cas sous un gouvernement conservateur.
Par ailleurs, c’est aussi sous le gouvernement conservateur de Theresa May qu’avait été adoptée, en 2016, une définition de l’antisémitisme. Le parti travailliste quant à lui a bien entériné dès 2019 une définition de l’islamophobie dans ses statuts, mais n’a jamais évoqué, ni dans « le discours du trône » ouvrant la nouvelle session parlementaire après les élections législatives de juillet, ni dans son programme de campagne, un tel élargissement à l’échelle du Royaume.
À propos des discriminations, Keir Starmer promettait, dans son programme, de revenir “sur la décision des conservateurs de réduire la surveillance de la haine antisémite et islamophobe.”
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