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La France est-elle le pays développé le plus dangereux au monde ?

Création : 26 juillet 2024

Autrice : Julia Terradot, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École publique de journalisme de Tours

Source : Compte Facebook, 19 juillet 2024

Selon un classement mondial du taux de criminalité d’un site serbe, repartagé sur Facebook, la France serait “le pays développé avec le taux de criminalité le plus élevé au monde”. Les Surligneurs interrogent la validité de cette mesure.

La France serait-elle “le pays développé avec le taux de criminalité le plus élevé au monde”, comme l’affirme l’auteur d’une publication Facebook de juillet 2024 ? En commentaire, il partage sa source : le site serbe Numbeo et son « indice de criminalité par pays 2024, milieu d’année ».

Le créateur de Numbeo, un dénommé Mladen Adamovic, n’a pas répondu à la demande d’interview des Surligneurs, mais décrit ses méthodes statistiques dans les pages de son site. Comme nous l’avons déjà raconté, le site récolte des données depuis 2009 grâce à des questionnaires “conçus pour être similaire à de nombreuses enquêtes scientifiques et gouvernementales”. Ensuite, par le biais du langage de programmation Java, les réponses des 36 derniers mois sont utilisées pour obtenir une note qui va de 0 à 100. Cela permet de classer les pays par ordre décroissant du niveau de criminalité. La France a ainsi obtenu une note de 55.3, “un niveau de criminalité modéré”, selon l’évaluation du site.

Pourtant, la méthode Numbeo n’a rien de scientifique. En 15 questions et bien moins de minutes, les visiteurs peuvent participer au classement d’une ville ou d’un pays, sans jamais y avoir mis les pieds, autant de fois qu’ils le souhaitent.

Rien de scientifique

La publication Facebook est donc fausse, car les données de la source ne sont pas fiables. “Ce classement n’a rien de scientifique”, confirme le docteur en droit public Driss Aït Youssef. “C’est l’exact inverse d’un protocole de recherche sérieux”, appuie Renée Zauberman, sociologue à l’Observatoire scientifique du crime et de la justice (OSCJ).

La chercheuse soulève en particulier le problème de l’échantillonnage. “Dans un sondage, il faut que le morceau de population interrogé soit représentatif de l’ensemble de la population concernée”, explique-t-elle, car les réponses à ces questions sociales ne sont pas généralisables.

“On ne sait pas si ce sont exclusivement les Français qui vont répondre [aux questionnaires sur la France], ou des gens qui n’y ont jamais mis les pieds. Donc déjà, on a un biais”, renchérit Driss Aït Youssef. Un autre problème est le biais d’ampleur de l’indice de criminalité : “Quels indicateurs va-t-on mettre dans ‘criminalité’ ? Uniquement les homicides volontaires et involontaires, ou alors des infractions au sens plus large ?”, questionne-t-il. En effet, tous les pays du monde n’utilisent pas le même outil de mesure. En France, les services du ministère de l’Intérieur s’appuient notamment sur le fichier « État 4001 », par exemple, qui mesure les infractions connues par la police et la gendarmerie.

Des mesures de confiance

Établir un classement du taux de criminalité à l’échelle mondiale reste possible, mais selon Renée Zauberman, “c’est un processus extrêmement délicat et dont la mise en œuvre est compliquée”. Pour être valide, le classement doit utiliser des instruments de mesure comparables, comme les enquêtes de victimation ou le taux d’homicide volontaire. En effet, l’homicide volontaire combine le fait d’être un crime et également d’avoir une définition homogène à travers le monde.

Alors, où la France se situe-t-elle réellement dans le classement mondial du taux de criminalité ? Pour y répondre, les Surligneurs vont une nouvelle fois se plonger dans les statistiques de criminalité.

Des données fiables sur la criminalité par pays existent bel et bien. Dans son rapport de 2023, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime se base sur le taux d’homicides par pays pour 100 000 personnes, “un indicateur plus objectif”, précise Renée Zauberman. En 2021, le nombre de victimes d’homicides volontaires en France était de 1,1 sur 100 000 personnes. En comparaison, la moyenne mondiale est de 5,8 victimes pour 100 000. Et alors qu’Outre-Atlantique, aux États-Unis, ce serait 3 à 10 personnes sur 100 0000, indique le rapport onusien, sur Numbeo, le pays est considéré plus sûr que la France (39ᵉ), à la 59ᵉ place du classement. Pourtant, pour reprendre les termes de l’internaute, c’est aussi un pays « développé ».

Comme l’ont déjà raconté Les Surligneurs à plusieurs reprises, les chercheurs peuvent aussi mener des enquêtes de victimations, “des sondages sur un certain nombre d’infractions dont les personnes disent avoir été victimes”, éclaircit Renée Zauberman. Cette mesure permet également de mesurer le niveau de délinquance indépendamment des signalements à la police.

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