Crédit photo : Gerd Altmann

Non, les auteurs d’homicide n’ont pas tous des troubles psychiatriques

Création : 23 juillet 2024

Autrice : Lili Pillot, journaliste

Relecteurs : Etienne Merle, journaliste, Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École publique de journalisme de Tours

Source : Compte Facebook, 15 juillet 2024

Sur Facebook, une internaute affirme que toute personne qui tue ou tente de tuer est forcément atteinte de troubles psychiatriques. Or, la majorité des études prouvent le contraire : la plupart des auteurs de crimes ne souffrent pas de troubles mentaux, ceux qui en souffrent étant d’ailleurs plus souvent victimes.

“Quand on tente de tuer, donc quand on veut tuer, on est à la base atteint d’un trouble psychiatrique, non ?”, fait mine de s’interroger une internaute sur Facebook le 15 juillet, dans la foulée de l’attaque d’un militaire à la gare de l’Est. Le principal suspect est en effet connu des services psychiatriques.

Or, selon elle, la maladie mentale présumée du suspect pourrait lui éviter la case prison : “Pour penser déjà à faire un attentat, il faut être dingue, donc la circonstance atténuante du soi-disant déséquilibré ne doit plus tenir stop, c’est un tueur, point final direction la prison!!.

Ce point de vue mérite d’être nuancé. En effet, si “l’homicide est souvent, dans l’imaginaire collectif, l’acte d’un malade mental”, constate une étude publiée en 2008 et coécrite par sept psychiatres français qui comparent les différences entre des meurtriers malades mentaux graves et ceux indemnes de troubles psychiatriques, les analyses scientifiques sur le sujet démontrent que la plupart des auteurs d’homicides ne souffrent pas de troubles mentaux particuliers. Les Surligneurs font le point.

“La violence meurtrière est un état qui peut toucher n’importe lequel d’entre nous”

Toutes les études (lire ici et )  que nous avons consultées le démontrent : la très grande majorité des crimes et des délits sont commis par des personnes qui ne souffrent pas de troubles psychiatriques. Dans l’étude précitée, il est précisé que80 à 85 % des auteurs d’homicides sont indemnes de maladies mentales graves”.

On retrouve quasiment les mêmes chiffres dans un autre rapport, publié en 2005, par deux psychiatres et un psychologue canadiens. Ces experts rappellent en introduction que “même si le risque de violence associé aux troubles mentaux graves est plus élevé que celui retrouvé dans la population générale, le nombre absolu des agressions commises par les patients reste faible. De 85 à 97 % des agresseurs ne sont pas des malades mentaux”.

Même son de cloche, en 2011, du côté de la Haute Autorité de santé qui, dans une audition publique sur la dangerosité psychiatrique, souligne que “les personnes atteintes de troubles mentaux graves ne seraient responsables que de 0,16 homicide pour 100 000 habitants, soit environ un homicide sur 20”.

Ce constat général a été validé auprès de Jean-Louis Senon, professeur de psychiatrie et de criminologie à l’Université de Poitiers. Pour les meurtres, entre 5 et 10 % sont l’acte de malades mentaux. Concernant les viols, on est encore plus bas : à 3,7 %. La violence meurtrière est un état qui peut toucher n’importe lequel d’entre nous, il suffit que les circonstances soient réunies”, atteste l’expert.

“Quand c’est un passage à l’acte indépendamment de la maladie, les facteurs criminels sont ceux de la vie courante : la rage, la jalousie, l’argent, les sentiments amoureux…, détaille Jean-Louis Senon. Concernant les personnes souffrant de troubles mentaux, “il est possible de prévenir le passage à l’acte quand la prise en charge se fait dans la continuité”, explique le médecin.

Que dit la loi ?

Si les auteurs de crimes et délits souffrant de troubles mentaux sont minoritaires, ils constituent une catégorie à part de justiciables. Ce qui les rend, notamment dans les médias, assez visibles du grand public. C’est cette particularité juridique qui semble déranger notre internaute : celle de l’irresponsabilité pénale (à ne pas confondre avec la circonstance atténuante).

En effet, selon l’article 122-1 du Code pénal, n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes”. Concrètement, “quand il y a eu abolition du discernement au moment des faits, on déclare le suspect irresponsable”, indique Jean-Baptiste Thierry, professeur en droit pénal et sciences criminelles à l’université de Lorraine. Ce principe selon lequel “on ne juge pas les fous” — comme l’avait rappelé Laure Heinich, avocate au Barreau de Paris — bien que parfois contesté, est un héritage du droit romain.

Pour déterminer s’il y a oui ou non abolition du discernement, une procédure préalable au procès sur le fond de l’affaire peut être organisée. C’est la “procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale”, nous explique Jean-Baptiste Thierry. Instaurée par la loi du 25 février 2008, cette étape du processus judiciaire intervient généralement “à la fin de l’instruction, si le juge de l’instruction considère qu’il y a potentiellement irresponsabilité pénale. À ce moment-là, il renvoie le cas devant la chambre de l’instruction, devant laquelle le coupable et les parties civiles vont comparaître afin de déterminer s’il y a eu abolition du discernement ou non — et donc responsabilité pénale ou non — au moment des faits, détaille Jean-Baptiste Thierry.

À l’issue de cette étape, au cours de laquelle est réalisée une première expertise psychiatrique, le juge décide de suivre ou non la recommandation du psychiatre. Dans le cas où il déclare le suspect responsable pénalement, un procès sur le fond se tiendra. S’il déclare le suspect irresponsable, “le juge peut tout de même lui interdire de détenir des armes, ou demander une hospitalisation sous contrainte, prévue à l’article 706-135 du Code de procédure pénale”, précise Jean-Baptiste Thierry.

“Les malades mentaux sont beaucoup plus victimes qu’auteurs”

Dans les cas où l’abolition du discernement n’est pas reconnue, la responsabilité peut ne pas être totale pour autant. “Depuis la loi Taubira de 2014, le jury d’assises a la possibilité de minorer la peine de 30 % en cas d’altération du discernement”, rappelle Jean-Louis Senon.

Outre le fait que les personnes souffrant de troubles psychiatriques représentent une minorité parmi les agresseurs, ils sont souvent bien plus nombreux du côté des victimes.Les malades mentaux sont des victimes toutes trouvées parce qu’ils ne savent pas se défendre. Notamment quand ils ne sont pas insérés, qu’ils sont à la rue. Les malades mentaux sont beaucoup plus victimes qu’auteurs d’agressions”, atteste Jean-Louis Senon.

Une récente étude australienne démontre en effet que les personnes souffrant de troubles psychiatriques sont plus vulnérables face aux violences sexuelles.

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