Non, le fait qu’il existe des brevets de modification du temps ne signifie pas que “le gouvernement contrôle la météo”
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Lili Pillot, journaliste
Source : Compte Facebook, 22 août 2023
S’il existe bien des techniques de modification de la météo, comme l’ensemencement des nuages, leur fiabilité est largement débattue et leur utilisation reste marginale. C’est d’ailleurs plus souvent les acteurs privés que les gouvernements qui y recourent.
De tout temps, les humains ont appelé de leurs vœux la pluie ou maudit des averses dévastatrices. Dans notre ère, plus besoin de rituels pour faire tomber la pluie, d’après des internautes, car le gouvernement contrôlerait la météo. Pour appuyer leur théorie, ces mêmes personnes entendent dévoiler des informations “même pas cachées” : des brevets de modification de la météo.
On nous enjoint à nous intéresser aux brevets et notamment le “US2550324A”. Ce brevet, disponible en ligne sur Google Patents, existe bel et bien et a proposé, en 1951, un “procédé permettant de dissiper les nuages et le brouillard en débarrassant l’atmosphère des particules d’humidité”. Plus globalement, l’invention a pour objectif “le contrôle des conditions météorologiques”.
Si ce but, bien ambitieux, peut légitimement inquiéter, rien ne prouve qu’il a été atteint. Le fait qu’il y ait un brevet n’indique pas que l’invention fonctionne. Ceci dit, d’autres inventions que celle liée à ce brevet existent pour tenter de “modifier la météo”. Pour bien comprendre de quoi on parle, il faut s’intéresser aux procédés qui existent aujourd’hui.
L’ensemencement des nuages : une pratique réelle mais inefficace
D’après Marine de Guglielmo Weber, chercheuse à l’Irsem, dans 95 % des cas, les techniques de modification de la météo actuelles se portent sur l’ensemencement des nuages. Cette technique, que Les Surligneurs avaient déjà détaillée, consiste à envoyer des particules très fines dans les nuages pour augmenter la probabilité de formation de gouttes de pluie par une augmentation du nombre de gouttelettes de nuages de plus grande taille. Et, in fine, augmenter la probabilité qu’il pleuve.
“Dans les années 50, on a découvert le pouvoir des particules d’iodure d’argent [principal composé utilisé pour l’ensemencement des nuages, ndlr], et il y a eu une “hype” des attentes, mais qui n’ont jamais pu être satisfaites”, développe Andrea Flossmann, professeure à l’université Clermont Auvergne et co-responsable de l’équipe des experts sur la modification du temps à l’Organisation météorologique mondiale.
On a pensé pouvoir contrôler le temps, mais ça ne s’est pas exactement passé comme prévu. “La variabilité naturelle des nuages est très importante, précise Andrea Flossmann. L’effet de l’ensemencement est incertain, il y a très peu de cas où on est positif sur le fait que ça ait réellement marché.” En clair, même si on ensemence un nuage et qu’il pleut par la suite, on ne sait pas vraiment dire si c’est dû à l’ensemencement ou s’il aurait naturellement plu.
Des fins militaires aux fins agricoles
Cependant, même si ces techniques et leur efficacité sont remises en cause, l’ensemencement fait toujours l’objet de recherches et de pratiques. “Le dépôt de brevets de modification du temps que l’on peut trouver montre qu’il y a des recherches et un engouement industriel et économique pour ce marché, note Marine de Guglielmo Weber, autrice d’une thèse sur l’ensemencement des nuages. Ce secteur d’activité connaît un regain avec les problématiques liées à l’eau qui découlent du changement climatique.”
Si dans les années 60, il y a eu des applications militaires de l’ensemencement des nuages, les procédés de modification du temps sont aujourd’hui majoritairement utilisés pour des questions agricoles : empêcher la grêle ou augmenter la ressource hydrique dans des zones qui en manquent.
Si ces procédés existent et qu’ils sont utilisés, il faut tempérer leur portée, explique Marine de Guglielmo Weber. “On dénombre 50 pays dans lesquels ce genre de procédé est utilisé, mais dans la majorité des cas, ce sont des initiatives locales, associatives ou privées.” Seuls quelques États ont des programmes de modification de la météo intégrés au niveau gouvernemental : à savoir, les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite ou encore la Chine et la Russie.
Encore une fois, il est très difficile de savoir si ces programmes sont efficaces, surtout qu’ils sont très minoritaires. En revanche, au-delà des effets réels, les effets perçus sont importants et peuvent exacerber des conflits géopolitiques. “Les officiels indiens accusent régulièrement la Chine, qui a des projets d’ensemencement de nuages sur le plateau tibétain, d’être responsable de catastrophes sur leur territoire, raconte Marine de Guglielmo Weber. La croyance qui existe autour du contrôle de la météo, même s’il n’est pas fondé à 100%, produit de la friction.”
D’autant qu’au niveau juridique, il existe un flou autour de ces pratiques. Mathieu Simonet, auteur de La fin des nuages (éditions Julliard) et ancien avocat, milite pour qu’une législation se mette en place. S’il existe une réglementation en temps de guerre – la convention Enmod prohibe l’usage de la modification de la météo à des fins militaires depuis 1976 (même si la France n’est pas signataire) – il n’y en a pas en temps de paix. “Il commence à y avoir des plaintes pour “vol de nuages”, et se pose la question de l’enjeu sanitaire des produits envoyés dans les nuages, c’est pourquoi avoir des règles communes au niveau international est important.”
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