“C’est plus qu’un pouvoir d’influence” : ce qu’il faut savoir sur le président de l’Assemblée nationale
Propos recueillis par Clotilde Jégousse, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Les députés choisissent, jeudi 18 juillet, celui ou celle qui présidera la nouvelle Assemblée nationale. Un vote qui n’a rien d’anecdotique, selon Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public.
Les 577 nouveaux députés se réunissent pour la première fois dans l’hémicycle, jeudi 18 juillet à partir de 15 heures, pour élire le ou la présidente qui s’installera au perchoir. Six candidats sont déclarés : la présidente sortante, Yaël Braun-Pivet (Ensemble), le centriste Charles de Courson, le communiste André Chassaigne pour le Nouveau Front Populaire (NFP), Naïma Moutchou pour Horizons, Sébastien Chenu pour le Rassemblement National (RN), et Philippe Juvin chez Les Républicains (LR). À quelques heures d’un premier choix très symbolique, avant celui du Premier ministre, Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers, revient sur le déroulement de l’élection et sur le rôle qui incombe au président de l’Assemblée.
Comment se déroule l’élection du président de l’Assemblée nationale ?
Les députés choisissent leur président par un vote à bulletin secret. Pour qu’il soit désigné dès le premier tour, il doit obtenir la majorité absolue, donc au moins la moitié des voix plus une. Jusqu’en 2022, cela a toujours été facile : mise à part une petite parenthèse entre 1988 et 1993, il y a toujours eu une majorité absolue pour soutenir le gouvernement. Celle-ci choisissait son président en interne, et le soumettait au vote. Mais depuis les élections législatives de 2022, et a fortiori depuis celles de juillet 2024, les choses sont très différentes. Comme il y a trois blocs minoritaires – le bloc de gauche, le bloc dit “central” et le bloc de droite – il faudra forcément une alliance. Ce n’est pas impossible, mais il est aussi probable qu’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord, et que chaque bloc vote pour son ou ses candidats, sans obtenir de majorité absolue. Il faudra alors organiser un second tour, à nouveau pour rechercher la majorité absolue. Ce n’est qu’au troisième tour que l’on passe à la majorité relative : alors seulement, le candidat qui obtient le plus de voix obtient la présidence.
On dit qu’il est le “quatrième personnage de l’État”. Quelles sont ses prérogatives ?
À l’intérieur de l’Assemblée, sa principale mission est de présider l’hémicycle. C’est lui qui donne la parole, coupe le micro d’un député et veille au respect de la discipline. Il décide si nécessaire de sanctions, le cas échéant avec l’appui du Bureau – l’autorité collégiale qui gère l’organisation de l’Assemblée, ndlr. C’est ce qu’a fait Yaël Braun-Pivet en novembre 2022, lorsque le député RN Grégoire de Fournas a lancé sa fameuse phrase “qu’il(s) retourne(nt) en Afrique”, pendant qu’un député noir évoquait le cas de migrants bloqués en mer après avoir été secourus en Méditerrannée. C’était le rôle de la présidente d’intervenir, l’invective du député ayant altéré le bon déroulement des débats. Mais il a aussi d’importantes compétences en dehors de l’hémicycle : il nomme par exemple trois des neuf membres du Conseil Constitutionnel. C’est plus qu’un pouvoir d’influence, c’est une participation à la vie politique de l’État. Il place des personnes qui vont jouer un rôle considérable dans les institutions de la République.
A-t-il une obligation de neutralité dans la conduite des débats ?
Cela peut paraître contre-intuitif mais, juridiquement, rien n’interdit qu’il prenne part à un vote, alors qu’il est aussi là pour comptabiliser le nombre de votants. Toutefois, en pratique, cela reste l’exception. La tradition veut que le président de l’Assemblée donne des gages de neutralité en veillant au respect des droits de l’opposition et des groupes minoritaires. Cela lui permet de conserver une certaine crédibilité auprès des députés. Pendant potentiellement cinq ans, il devra avoir leur confiance, être respecté et considéré comme quelqu’un qui fait honneur à la fonction. Yaël Braun-Pivet a souvent été accusée d’avoir la main lourde quand elle sanctionnait des députés de La France Insoumise accusés de “bordéliser” les débats, et d’être plus conciliante à l’égard du Rassemblement National. Elle les a effectivement davantage sanctionnés, mais il faut noter que jamais sous la Ve République un Président de l’Assemblée nationale n’avait été confronté à un hémicycle aussi indiscipliné.
Selon vous, le résultat préjugera-t-il de la couleur politique du Premier ministre ?
Ce sera forcément un signal. Mais il n’y a pas nécessairement de lien de causalité ni même de corrélation. Il est tout à fait possible qu’une partie des députés parvienne à s’entendre sur un président relativement consensuel, dont ils pensent qu’il pourra présider sereinement les débats et donner une image respectable de l’Assemblée. Cela ne signifie pas qu’ils s’entendront pour le Gouvernement de demain. Il n’est pas du tout exclu que le président soit de gauche, et que le Gouvernement soit ensuite dominé par le centre et la droite. Ou l’inverse… La situation politique est tellement bouleversée qu’il faut s’attendre à tout.
Dans l’histoire de la Cinquième République, le président de l’Assemblée et le Gouvernement ont pourtant toujours été du même bord politique…
Ce serait en effet la première fois qu’ils ne le sont pas. Mais il y aurait potentiellement d’autres incongruités. Sans préjuger de ce qu’il se passera dans la nouvelle Assemblée nationale, le RN sera a priori le premier groupe politique en nombre de députés. Ce qui signifie qu’il est en principe considéré comme le groupe majoritaire, qui soutient le Gouvernement. Or, on peut difficilement imaginer qu’il le fasse, ce qui montre que les textes n’ont pas été pensés pour la situation politique que nous connaissons.
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