Démission du Premier ministre : qu’est-ce que l’expédition des affaires courantes ?
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Mis en minorité à l’issue des élections législatives, le Premier ministre Gabriel Attal restera en fonctions “pour le moment”, après que sa démission a été refusée par le Président de la République. Dès qu’elle sera formellement acceptée, il devra se borner à assurer le fonctionnement des services publics.
« Fidèle à la tradition républicaine et conformément à mes principes, je remettrai demain matin ma démission au président de la République. » Ainsi s’est achevée la campagne marathon du Premier ministre Gabriel Attal, à l’issue du second tour des élections législatives dimanche 7 juillet au soir. Avec quatorze sièges de moins que le Nouveau Front Populaire (182 sièges), la coalition présidentielle Ensemble! (168 sièges) perd sa majorité relative. Et avec elle, son Premier ministre – traditionnellement issu de la force la plus importante à l’Assemblée.
Gabriel Attal a néanmoins assuré lors de son allocution vouloir “assumer (ses) fonctions aussi longtemps que le devoir l’exigera”, faisant notamment référence à l’organisation des Jeux Olympiques de Paris dans trois semaines. Grand bien lui en a fait : ce lundi midi, le Président de la République lui a demandé de rester à Matignon “pour le moment”, afin d’“assurer la stabilité du pays”. La veille, Emmanuel Macron avait déjà dit qu’il attendrait la “structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires”.
Cela permet, pour le moment, au chef du Gouvernement de garder le même cap politique. Sans doute pas pour longtemps : dès que sa démission sera formellement acceptée par le Président de la République, “le Premier ministre ne sera plus là pour agir, anticipe Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers. Il sera débranché politiquement, et ne pourra plus entreprendre de nouvelles réformes”. C’est ce qu’on appelle la “théorie des affaires courantes” : dans l’attente de la nomination d’un nouveau Premier ministre, vraisemblablement issu du Nouveau Front Populaire, Gabriel Attal assurera essentiellement le fonctionnement régulier des services publics – comme le bon déroulement de la prochaine rentrée scolaire – et la continuité de l’État. Les fonctionnaires ministériels travaillent par exemple sous la direction du Gouvernement, qui arbitre un certain nombre de questions. “Lorsqu’un ministre étranger est accueilli, c’est le ministre ou son cabinet qui détermine le protocole à appliquer, valide le discours et les sujets à aborder”, explique Bertrand-Léo Combrade.
Pouvoir encadré
S’il venait à prendre des décisions à caractère politique, Gabriel Attal s’exposerait non seulement à une motion de censure, mais aussi à l’annulation de ses décrets par le Conseil d’État. Si la loi ne fixe pas de limite à ce qui constitue des “affaires courantes”, la jurisprudence administrative est claire à ce sujet. Il y a plus de soixante-dix ans, dans une décision du 4 avril 1952, le Conseil d’État avait par exemple annulé un décret du gouvernement Gouin – le gouvernement de la France du 26 janvier au 12 juin 1946 – pris sept jours après sa démission officielle. Le juge administratif avait estimé que l’acte, qui concernait l’application du droit de la presse en Algérie, ne pouvait pas constituer une “affaire courante”, “en raison de son objet même, et à défaut d’urgence”. Il s’agissait pourtant uniquement de l’exécution d’une loi adoptée deux mois auparavant (l’article 43 de la loi du 11 mai 1946).
Gabriel Attal devra également se tenir “prêt à réagir en cas d’événement imprévisible”, explique Bertrand-Léo Combrade. Dans le cadre d’un attentat terroriste ou de violences importantes, “le gouvernement pourrait décréter l’état d’urgence sécuritaire”, comme il l’a fait récemment en Nouvelle Calédonie lors des émeutes du mois de mai, en vertu de la loi du 3 avril 1955. Il pourrait alors prendre certaines mesures par décret, comme l’interdiction des manifestations et rassemblements sur la voie publique. Après douze jours, un vote de l’Assemblée nationale serait toutefois nécessaire.
À plus long terme, dans l’hypothèse où la chambre basse ne parviendrait pas à s’accorder sur un Premier ministre qui emporterait l’adhésion d’au moins 289 députés – sans laquelle il serait rapidement renversé par une motion de censure – Gabriel Attal devrait trouver l’équilibre entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas. “Qu’en serait-il du projet de loi de finances rectificatif proposé aux parlementaires à l’automne? s’interroge Bertrand-Léo Combrade. Une partie consiste à verser les salaires aux fonctionnaires, mais des choix budgétaires seraient nécessairement faits, ce qui irait au-delà de l’expédition des affaires courantes”. Un scénario fiction dans lequel le Premier ministre marcherait sur une ligne de crête, jusqu’à la prochaine dissolution.
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