Immigration : Par-delà les fantasmes, la réalité historique

Crédit photo : Robert Capa
Création : 5 juillet 2024

Auteur: Nicolas Kirilowits, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétaire de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille

Sujet de crispation contemporain par excellence, l’immigration est aussi, et surtout, un reflet de l’histoire récente de notre pays. Entre besoins de main-d’œuvre, ralentissement économique, marqueurs politiques, et fausses nouvelles, les Surligneurs retracent, à quelques jours du 2nd tour des élections législatives, les grandes lignes d’un phénomène ancien et d’avenir.

Regarder en arrière pour penser le présent et l’avenir. C’est en cela que parcourir l’histoire française de l’immigration peut être utile dans une période où le débat public se démarque essentiellement par son empressement.

Mais alors où commencer notre parcours ? Le 3 décembre 1849, durant la deuxième République, nous indique l’Institut Convergence Migrations, auteur d’une frise chronologique des lois sur l’immigration.

Il y a 175 ans, l’État se dotait d’une Loi sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France. On y apprend à son premier article que “Le président de la République statuera sur les demandes en naturalisation. La naturalisation ne pourra être accordée qu’après enquête faite par le gouvernement relativement à la moralité de l’étranger, et sur l’avis favorable des conseils d’État.”

Est-il précisé aussi que “relever la naturalisation devenue trop facile, et, sans manquer aux traditions hospitalières de la France, armer le gouvernement du droit d’éloigner les hôtes qui seraient dangereux, tels sont les deux objets bien distincts de la loi nouvelle”. Quelques lignes vieilles de presque deux siècles, pourtant semblables à s’y méprendre à certains arguments contemporains.

En 1851, c’est aussi, explique aux Surligneurs François Héran, professeur au Collège de France et président de l’Institut Convergences Migrations, “la première fois que l’on a un recensement avec des questions sur la nationalité et le pays de naissance”.

À cette époque, “la France manquait de bras pour s’industrialiser et rattraper son retard face à l’Angleterre notamment. D’où l’appel aux migrants des pays voisins : Belges, Suisses, Savoyards, Piémontais, etc.”

Une forte corrélation entre économie et immigration

Déjà se dessine le lien entre réalité migratoire et situation économique. Celui-ci prévaudra durant tout le XXe siècle. Dans un dossier paru en mars 2023, l’INSEE rappelle, par exemple, qu’après la Première Guerre mondiale, “les années vingt sont marquées par une immigration massive, afin de remédier à la perte de main-d’œuvre. La France accueille alors principalement des immigrés venus de pays voisins (Belgique, Italie, Espagne) et de l’est de l’Europe (Pologne, Russie, Arménie).”

D’après les chiffres de l’Institut, la part des immigrés dans la population totale du pays augmentera sensiblement entre 1921 (3,7 %) et 1931 (6,6 %). “La France, pôle mondial de l’immigration”, écrit la professeure émérite de l’Université Paris Nanterre, Marie-Claude Blanc-Chaléard, dans l’un de ses ouvrages (Histoire de l’immigration. La Découverte, 2001).

Par la suite, cette même part baissera pour s’établir à la fin de la Seconde Guerre mondiale à 5 % de la population totale du pays. “Pendant la Dépression des années 1930, elle (la France) ferme l’accès des étrangers aux professions libérales et rapatrie de force de nombreux Polonais. Une politique durcie à l’extrême par la législation xénophobe et antisémite de Vichy (1940-1944).”, rappelle François Héran.

Pour Matthieu Tardis, co-fondateur du centre de recherche Synergies migrations et ancien responsable du Centre migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (Ifri), “l’histoire de l’immigration s’est construite avec les États-nations et le nationalisme”.

Après la libération, la même problématique se répète : il faut reconstruire et les bras manquent de nouveau. Une fois encore, la France fait appel à la force de travail étrangère. “La vague migratoire des Trente Glorieuses voit, dans un premier temps, l’afflux d’immigrés espagnols et algériens, suivis dans les années 1960 par des immigrés portugais, marocains et turcs. En 1968, les immigrés représentent 6,5 % de la population”, indique l’INSEE. Dans le détail, le nombre d’immigrés passe à la sortie de la guerre de 2 millions pour atteindre le double, près de 4 millions en 1975.

Le tournant des années 70

Les années 70 marquent un virage historique avec le passage progressif d’une immigration dite “économique” à une immigration dite “familiale”. “Comme l’Allemagne, la France décide de mettre un frein à l’immigration de travail dans le contexte difficile du choc pétrolier de 1973-1974”, contextualise François Héran. “À cette époque se développe l’idée que pour stopper le chômage de masse, il faut stopper l’immigration”, ajoute-t-il.

Au niveau des chiffres, la part de la population immigrée se stabilise à environ 7,5 % jusqu’en 1999. Toutefois, les pays d’origine des immigrés évoluent, comme le montre visuellement cet article du blog de l’INSEE. Le passé colonial de la France rentre, de fait, en contact avec sa réalité migratoire. “Jusqu’en 1962 et l’indépendance de leur pays, les Algériens n’étaient pas considérés comme immigrés”, signale à ce sujet Matthieu Tardis.

De manière plus générale, la part de la population maghrébine augmente quand celle d’Europe du Sud (Espagnole, Italie et Portugal) baisse avec le développement économique des pays concernés.

Ce changement s’accompagne d’une fièvre législative qui gagnera tous les Présidents de la République et les gouvernements successifs, quels que soient leurs bords politiques.

Selon un décompte effectué par nos collègues des Décodeurs du journal Le Monde, 100 textes (entre lois et ordonnances, décret, arrêtés et circulaires) se sont amoncelés pour légiférer l’immigration en France depuis le début du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Soit deux par an en l’espace d’un demi-siècle.

La France, pas une anomalie migratoire

L’entrée dans le nouveau millénaire marque enfin le dernier virage migratoire de la France. On observe une augmentation linéaire de la part des immigrés dans la population totale du pays, passant, d’après les données de l’INSEE, de 7,3 % en 1999 à 10,3 % en 2021. “Plusieurs phénomènes s’entrecoupent” précise François Héran qui mentionne cinq facteurs explicatifs :  la hausse de l’immigration estudiantine, des conflits, le développement en cours de certains pays avec une population qui a désormais les moyens de migrer, la migration économique et familiale, et dans une moindre mesure la migration climatique.

Aussi, la France, contrairement à certaines idées reçues répandues, n’a rien d’une exception. “La hausse soutenue de l’immigration s’observe partout en Europe, et la France occupe même une place modeste au sein des démocraties libérales”, indique François Héran. Pour Matthieu Jardis, “la France n’est plus un pays majeur de l’immigration en Europe”

Selon les données de l’OCDE, publiées dans la dernière édition de son rapport intitulé Perspectives et migrations internationales, entre 2014 et 2022, la France a accueilli un peu plus de 2,4 millions de migrants. Soit davantage que l’Italie (1,9 million) mais moins que l’Espagne (3,1 millions), le Royaume-Uni (3,4 millions) ou l’Allemagne (6,1 millions).

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