Le rôle du Parlement européen dans les négociations du Traité CETA
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteurs : Valentine Piron et Alex Yousfi, étudiants à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France, sous la supervision de Thomas Destailleur, docteur en droit public
Illustrations : Factoscope
« Les Surligneurs » et la rédaction de « FactoScope » (École publique de journalisme de Tours) s’associent pour traiter l’actualité des élections européennes.
« Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains à vous aussi ! […] Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. » – proclamait Victor Hugo, européiste convaincu, présidant le Congrès International de la Paix à Paris, le 21 août 1849. Aujourd’hui, malgré une paix mondiale durable, l’ouverture des marchés au commerce international reste perçue à tort ou à raison comme un lieu de bataille, ce qu’illustre le contexte de l’accord conclu entre l’Union européenne et le Canada, le traité CETA.
Signé à Bruxelles le 30 octobre 2016 par l’Union européenne et les États membres, cet « accord de nouvelle génération » est porteur d’ambitions plus larges que les accords qui l’ont précédés. Outre l’élimination des barrières tarifaires, ce partenariat stratégique euro-canadien entend intervenir dans d’autres domaines par l’intermédiaire de normes sociales, environnementales et fiscales. Ainsi, si le viticulteur du Puy-de-Dôme, le fromager occitan ou encore l’artisan cravatier italien sont désormais libres d’exporter vers le marché canadien en franchise de droit de douane (articles 2.1 à 2.13 traité CETA), sous réserve de certains quotas en volume, le traité permet également aux entreprises européennes de se porter candidates sur les marchés publics canadiens et inversement (articles 19.1 à 19.9 traité CETA). Les négociations du traité furent cependant houleuses et ont polarisé de multiples préoccupations, à l’image de la filière bovine et porcine et de ses inquiétudes quant aux normes agroalimentaires canadiennes particulièrement permissives.
En droit de l’Union européenne, le traité CETA fait partie des accords internationaux dont les négociations et la conclusion obéissent à des procédures définies dans les traités. A cette fin, il convient de les exposer brièvement avant de mettre en lumière le rôle joué par le Parlement européen dans le cadre de ce traité.
La conclusion d’accords internationaux entre l’Union européenne et les États tiers
En vertu de l’article 47 du Traité sur l’Union européenne (TUE) et de l’article 216 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’Union européenne est habilitée à négocier et conclure des accords internationaux, autrement dit des traités bilatéraux avec des États tiers (extérieurs à l’Union). Ce faisant, celle-ci dispose de deux niveaux de compétence, l’un lui étant exclusivement réservé (compétence exclusive), l’autre étant partagé avec les États membres (compétence partagée).
En matière de compétence exclusive (article 3 TFUE, politique commerciale par exemple), l’Union peut engager seule les vingt-huit États membres. En l’occurrence, c’est le Conseil de l’Union européenne (composé de représentants des États membres) qui signe le traité. A l’inverse en matière de compétence partagée (article 4 TFUE, agriculture et pêche, environnement, énergie par exemple), l’Union et les États membres adoptent de concert des accords internationaux. Dans cette hypothèse, le Conseil ne peut conclure seul ces traités, appelés « accords mixtes » sans obtenir l’accord des vingt-huit, ces derniers devant les ratifier conformément aux règles constitutionnelles nationales. En France, l’article 53 de la constitution prévoit que le Parlement doit ratifier/approuver le traité par le vote d’une loi.
Le CETA fait partie de la catégorie des accords mixtes, laquelle explique la signature du traité le 30 juin 2016 tant par le Conseil que par les États membres.
Les pouvoirs du Parlement européen en matière d’accords internationaux
Longtemps mis de côté au profit du Conseil de l’Union européenne, le Parlement européen tend aujourd’hui vers une égalité institutionnelle pour guider l’orientation de l’Union. Ainsi aux termes des articles 207 et 218 du TFUE ainsi que 108 § 7 du règlement intérieur du Parlement, le Parlement doit dans la majorité des cas donner son approbation préalable à la conclusion des accords internationaux. Plus qu’une simple consultation (avis juridiquement non-contraignant), le Parlement européen dispose d’un véritable droit de veto, c’est à dire une prérogative de blocage présentée habituellement comme une « arme procédurale déterminante » lui assurant d’influencer indirectement les négociations. Dans la pratique, ce pouvoir a instauré un « rapport de force de coulisse ». En effet, bien en amont de sa sollicitation par le Conseil pour la conclusion des accords, le Parlement signifie qu’il dispose d’une faculté de barrage et tente, par là même, de renforcer son autorité sur la tendance générale des accords en cours de négociation. Une telle configuration institutionnelle contraint par conséquent le Conseil comme la Commission à anticiper les points de frictions éventuels en apportant aux accords négociés les correctifs et réajustements nécessaires à son approbation par le Parlement ainsi que le montrent les négociations du CETA.
Les points du CETA que le Parlement européen a fait évoluer
Trois aspects parmi tant d’autres ont particulièrement illustré l’influence du Parlement européen dans le cadre du CETA : au premier chef, les modalités de règlement des différends opposant investisseurs étrangers contre États, ensuite, les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) et les hormones de croissance et, enfin les Indications Géographiques Protégées (IGP).
Le règlement des différends entre investisseurs étrangers et l’État hôte est l’un des points essentiels du Traité CETA (articles 8.18 à 8.45 traité CETA).
Classiquement en droit international public, les litiges sont réglés selon une procédure critiquée, c’est-à-dire par le biais de tribunaux arbitraux privés que les entreprises étrangères peuvent saisir, mécanisme permettant de contourner les juridictions nationales. Outre qu’une telle solution fait naître le sentiment d’une certaine partialité des arbitres au profit des intérêts privés et au détriment des politiques publiques de l’État, elle est souvent mal perçue dans l’opinion publique qui accepte peu que des arbitres mettent en cause les règles adoptées par le Parlement ou le gouvernement. Cela s’est déjà observé dans le cadre d’un litige engagé par le cigarettier Philip Morris à propos de la lutte anti-tabagique en Australie.
Jouant de son « arme procédurale » et prenant en compte les critiques émises à l’encontre de l’ancien système, le Parlement européen a fait évoluer le mode de règlement des litiges envisagés dans le CETA vers un mécanisme quasi-public dont l’objectif est tout à la fois d’assurer la protection des investissements étrangers contre toute décision arbitraire ou discriminatoire et de donner des garanties aux États pour légiférer dans l’intérêt général. L’influence du Parlement s’est traduite pour l’essentiel à travers les groupes conservateur et social-démocrate, majoritaires à Strasbourg. Ces derniers ont milité activement et avec réussite pour un « tribunal de règlements des différends transparents, institutionnalisés, et plus respectueux de la démocratie ». Le nouveau système juridictionnel se compose ainsi d’un tribunal de première instance et d’un tribunal d’appel. Les juges sont directement nommés par les États, sans possibilité pour les investisseurs étrangers d’intervenir dans leur nomination. Ils bénéficient des qualifications comparables à celles des membres des plus hautes juridictions internationales et ne doivent présenter aucun conflit d’intérêt qui pourrait remettre en cause leur indépendance (exemple : un avocat d’affaires ne pourrait pas devenir juge).
Au-delà du système de règlement des différends entre les entreprises et les États, le Parlement européen a également utilisé son pouvoir d’influence sur d’autres sujets tels que la question des Organismes Génétiquement Modifiées (OGM) et des hormones de croissance. Il a imposé sa ferme intention de ne pas voir importer des produits ne respectant pas les normes européennes. Par exemple, l’exportation du bœuf et du porc nécessitera de la part des entreprises canadiennes le développement de chaînes de production dépourvues d’hormones et du si décrié chlorhydrate de ractopamine, substance médicatrice améliorant le gain de poids chez les bovins, et augmentant la teneur en viande maigre ainsi que le rendement de carcasse chez les porcins.
Au surplus, relayant la nécessité de protéger le patrimoine gastronomique, viticole et spiritueux, le Parlement européen a joué le rôle de caisse de résonance pour de nombreuses revendications nationales. C’est ainsi que le Canada a accepté 143 Indications Géographiques Protégées, autrement dit, des spécialités alimentaires et des boissons provenant de villes et de régions spécifiques de l’Union telles que le Roquefort, le vinaigre balsamique de Modène ou le Gouda néerlandais que le Canada s’engage à protéger notamment à travers la lutte contre la contrefaçon.
Le rappel des pouvoirs du Parlement européen dans les négociations des accords est salutaire dans un contexte électoral imminent. Bien que cela ne soit pas perçu dans l’opinion publique, son rôle n’est pas négligeable dès lors qu’il permet à des représentants élus au suffrage universel direct de peser directement dans des négociations réputées pour leur opacité.
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