Dissolution de l’Assemblée nationale : un choix sans précédent ni équivalent
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé en droit public au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Le Président de la République dissout l’Assemblée nationale en réaction à une défaite électorale. Une première dans l’histoire de la Cinquième République, et une curiosité sur la scène européenne.
“On était dans un appartement avec une fuite de gaz. Chirac a craqué une allumette pour y voir clair”, écrivait Patrick Devedjian, alors député des Hauts-de-Seine (RPR), à propos de la décision de Jacques Chirac de dissoudre l’Assemblée en 1997.
Vingt-sept ans plus tard, c’est au tour d’Emmanuel Macron de jouer avec le feu. Après la défaite cuisante infligée dimanche 9 juin par le Rassemblement National – arrivé en tête des élections européennes avec 31,37% des suffrages contre 14,60% pour la liste de la majorité présidentielle – le chef de l’État a choisi d’invoquer l’article 12 de la Constitution lui permettant de dissoudre la chambre basse, à l’issue de plusieurs mois de conciliabules à l’Élysée. “J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote”, a-t-il déclaré lors d’une allocution télévisée. Une réaction inédite en France et en Europe.
40 ans de revers européens sans dissolution
La dissolution a été utilisée cinq fois dans l’histoire de la Cinquième République. Le Général De Gaulle s’en est servi à deux reprises pour demander la confiance de la population lorsqu’il était dans l’impasse. En 1962, alors qu’il souhaite instaurer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, son Premier ministre Georges Pompidou essuie une motion de censure à l’Assemblée nationale. De Gaulle choisit alors de convoquer de nouvelles élections pour renforcer sa majorité et conserver son Premier ministre. Six ans plus tard, tandis qu’il fait face aux contestations de mai 1968, il réclame à nouveau la confiance des électeurs en prononçant la dissolution. “L’idée était de se tourner vers les Français pour leur demander : est-ce que vous soutenez le mouvement des ouvriers et des étudiants, ou est-ce que vous me soutenez moi ?”, rappelle Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers.
En 1981 et 1988, François Mitterrand s’en sert lui pour obtenir une majorité de gauche à l’Assemblée, acquise à la droite lors des élections législatives de 1978 et 1986 – décorrélées du scrutin présidentiel jusqu’au passage au quinquennat en 2000. Enfin, en 1997, Jacques Chirac prononce une dissolution dite “à l’anglaise”, pour avancer les élections législatives qui doivent se tenir en 1998 – année que les experts de Bercy pressentent comme économiquement morose et donc peu favorable au Président.
Mais jamais aucun Président de la République n’a eu recours à l’article 12 pour répondre à un revers électoral. Pourtant, depuis que les élections européennes sont organisées au suffrage universel direct (1979), les listes présidentielles ont rarement été couronnées de succès. La liste PS de François Mitterrand, à la tête de l’État de 1981 à 1995, a essuyé trois défaites. En 1984, 1989 et 1994, l’UDF (Union pour la démocratie française) l’a surclassée à chaque fois (43% des voix contre 21%, 29% contre 24% et 26% contre 15%). Idem lorsque Jacques Chirac était Président : en 1999, la liste RPR (Rassemblement pour la République) arrive en troisième position (13%), derrière la liste Rassemblement pour la France (RPF) de Charles Pasqua et Philippe Devilliers (13%) et le PS de François Hollande (22%). Au pouvoir à partir de 2012, le Président socialiste perd lui aussi une élection européenne en 2014 (14%), au profit de l’UMP (21%) et, pour la première fois, de la liste FN-Rassemblement bleu marine (25%). Lors des dernières élections européennes, en 2019, le Rassemblement National avait également devancé le camp présidentiel d’une courte tête (23,34% contre 22,42%). Pour Thierry Meneau, enseignant en histoire du droit à l’Université Paris-Saclay, “cela montre bien qu’il n’y a aucune coutume de dissolution, et qu’elle relève purement d’un arbitrage personnel du chef de l’État”.
Spécificité française
Emmanuel Macron tire les conclusions de la défaite de son camp, pour lequel il s’est engagé personnellement plusieurs fois au cours de la campagne. Néanmoins, il n’engage pas sa responsabilité – le Président de la République est irresponsable politiquement – mais celle de son premier ministre, Gabriel Attal. Une position confortable, et un système singulier en Europe. “La France est l’un des seuls régimes parlementaires dans lequel un Président occupe le centre du jeu politique. À l’étranger, il est un responsable politique relativement effacé et qui dépasse les clivages politiques”, explique Bertrand-Léo Combrade.
En Espagne, en Italie ou en Allemagne, seul le Premier ministre peut faire le choix d’engager sa propre responsabilité, et donc de mettre sa place en jeu. Cela peut expliquer la décision du chancelier allemand Olaf Scholz (SPD), battu sèchement par les conservateurs de la CDU/CSU (14,1% des voix contre 30,2%) dimanche 9 mai, de ne pas dissoudre le Bundestag pour le moment. Il a pourtant lui aussi subi de vives pressions de la part de l’opposition. Le secrétaire général de la CDU, Carsten Linnemann, lui a adressé un ultimatum avant même la publication officielle des résultats : « Soit le gouvernement change de politique, soit il ouvre la voie à de nouvelles élections ».
Le scénario allemand semble dans tous les cas moins risqué que celui proposé par Emmanuel Macron. En mars dernier, le journal Le Nouvel Obs révélait l’existence d’un sondage commandé par Les Républicains et conservé secret. Il prévoyait, en cas de dissolution, que le Rassemblement National obtiendrait entre 243 et 305 sièges, soit une majorité relative voire absolue à l’Assemblée (fixée à 289 députés sur 577). Et le record du plus jeune Premier ministre de la République, détenu par Gabriel Attal, pourrait bien être battu.
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